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La violation d'une clause des statuts peut être invoquée par un tiers

Cass. 3e civ. 14-6-2018 n° 16-28.672

Le locataire d'un bien appartenant à une société peut faire annuler le congé donné par son dirigeant en se prévalant de la violation par celui-ci d'une clause statutaire limitant son pouvoir de résilier les baux.

Les tiers à un groupement foncier agricole (mais la solution vaut à notre avis pour toute société civile) peuvent se prévaloir des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir de son gérant.

La Cour de cassation vient d’énoncer ce principe pour la première fois dans une affaire où un groupement était propriétaire de biens agricoles donnés en location et où son gérant avait délivré congé au locataire sans respecter la clause statutaire subordonnant la résiliation des baux à l’autorisation de l’assemblée des associés.

La Cour déduit du principe ci-dessus que le locataire pouvait se prévaloir de la violation de cette clause pour invoquer le dépassement de pouvoir du gérant et faire annuler le congé.

Remarques
1. Une société ne peut pas, on le sait, opposer aux tiers la violation d’une clause statutaire limitant le pouvoir de son dirigeant, même si le tiers a eu connaissance de cette clause (Cass. com. 2-6-1992 n° 90-18.313, solution rendue pour une SARL mais applicable aux autres sociétés). Mais la règle de l’inopposabilité aux tiers des clauses limitant les pouvoirs du dirigeant n’interdit pas aux tiers de se prévaloir de ces clauses dans certains cas : par exemple un salarié licencié par une société a été admis à se prévaloir d’une clause statutaire soumettant les licenciements à l’autorisation préalable des associés (Cass. soc. 15-2-2012 n° 10-27.685).

L’arrêt ci-dessus généralise cette solution, mais on peut se demander si, malgré les termes dans lesquels il est rédigé, le principe énoncé s’applique à tous les cas de dépassement de pouvoir. En effet, cet arrêt, ainsi que celui de la chambre sociale du 15 février 2012, ont été rendus dans des affaires où le dépassement avait causé un préjudice au tiers. Ils seraient l’application d’un principe établi en matière de responsabilité extracontractuelle selon lequel le tiers à un contrat peut invoquer un manquement au contrat lorsque ce manquement lui a causé un dommage (notamment, Cass. com. 6-3-2007 n° 04-13.689). En conséquence, le principe dégagé dans l’arrêt ci-dessus ne saurait jouer, à notre avis, pour permettre à un cocontractant de se délier de ses obligations à l’égard de la société. Celui-ci ne pourrait donc pas tirer argument du dépassement de pouvoir du dirigeant pour faire annuler le contrat conclu avec la société en violation des statuts. Cette opinion nous paraît devoir être maintenue malgré le nouvel article 1200, al. 2 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats de 2016, selon lequel les tiers peuvent se prévaloir d’un contrat, le texte précisant à titre d’exemple qu’il en va ainsi « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».

2. En l’espèce, les statuts du groupement prévoyaient que l’assemblée des associés était compétente pour conclure ou « réaliser » les baux portant sur les biens de la société. Les juges d’appel, approuvés en cela par la Cour de cassation, ont estimé que l’emploi du verbe « réaliser » résultait d’une erreur de plume et que la commune intention des parties était de conférer à l’assemblée, seule habilitée à autoriser la conclusion des baux, le pouvoir d’en approuver parallèlement la rupture, si bien que le verbe « réaliser » devait être considéré comme signifiant « résilier ». Cette solution rappelle qu’il faut apporter le plus grand soin à la rédaction des statuts.