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Cession d’usufruit viager entre SCI : le barème fiscal s’applique pour le calcul du droit de vente

Cass. com. 26-9-2018 n° 16-26.503

Les droits dus à l’occasion de la cession entre deux SCI de l’usufruit d’un immeuble s’éteignant au décès d’une personne physique doivent être calculés sur la valeur résultant du barème fiscal de l’article 669, I du CGI.

1. Dans un arrêt de principe publié au Bulletin, la Cour de cassation juge qu’un usufruit acquis par une société pour la durée de vie d’une personne physique présente un caractère viager. Fiscalement, la qualification viagère de l’usufruit emporte application du barème fiscal de l’article 669, I du CGI pour l’établissement des droits de mutation. La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant statué en ce sens (CA Paris 13-9-2016 n° 13/13840).

Les circonstances de l’affaire

2. L’usufruit d’un ensemble immobilier avait fait l’objet d’une cession entre deux SCI. L’acte de cession prévoyait l’extinction de l’usufruit au décès du survivant des deux gérants respectifs de ces sociétés. Il ne s’agissait pas d’un usufruit « préconstitué », c’est-à-dire né antérieurement à la cession (par exemple à l’occasion d’une donation antérieure avec réserve d’usufruit), mais d’un usufruit constitué directement lors de la cession. Le prix de cession avait été déterminé à partir de la valeur économique de l’usufruit cédé.

3. Le litige portait sur l’assiette à retenir pour l’établissement de droits de mutation :

Selon le contribuable, les droits d’enregistrement devaient être calculés à partir du barème fiscal d’évaluation des usufruits viagers prévu à l’article 669, I du CGI. Celui-ci prévoit que la valeur d’un usufruit viager est fixée forfaitairement à un pourcentage de la valeur vénale de la pleine propriété déterminé d’après l’âge de l’usufruitier pour la liquidation des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière.

Selon les services de publicité foncière, qui avaient refusé l’enregistrement de l’acte de cession, les droits de mutation devaient être calculés sur la base du prix de cession prévu dans l’acte, conformément à l’article 683 du CGI relatif aux mutations à titre onéreux de propriété ou d’usufruit de biens immeubles.

4. Après avoir obtenu gain de cause en première instance, l’administration avait modifié son argumentation devant la cour d’appel. Reconnaissant que les dispositions spéciales de l’article 669 priment sur celles de l’article 683 du CGI, conformément à sa propre doctrine (BOI-ENR-DMTOI-10-10-10 n° 125), elle soutenait en revanche que seul le barème fiscal d’évaluation des usufruits à durée fixe prévu à l’article 669, II du CGI était applicable. Elle fondait son argumentation sur les dispositions de l’article 619 du Code civil selon lesquelles l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. Mais ces motifs n'ont pas convaincu la cour d’appel qui a validé la position du contribuable, et reconnu expressément la primauté de l’article 669 du CGI sur l’article 683 du CGI pour l’établissement du droit de vente de l’usufruit d’un immeuble.

 A noter : L’usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans de la durée de l’usufruit, sans fraction et sans égard à l’âge de l’usufruitier (CGI art. 669, II).

5. Les différentes valeurs de l’usufruit résultant des circonstances de l'espèce sont les suivantes :

(1) 6 000 000 x 40 % (les gérants ayant moins de 71 ans au jour de la cession)

(2) 6 000 000 x 69 % (l’administration retenant une durée fixe de 30 ans)

(3) Prix exprimé dans l’acte sur la base d’une évaluation économique de l’usufruit.

  • Valeur en pleine propriété de l’immeuble : 6 000 000 euros
  • Usufruit viager (CGI art. 669, I) : 2 400 000 euros (1)
  • Usufruit à durée fixe (CGI art. 669, II) : 4 140 000 euros (2)
  • Usufruit économique (CGI art. 683) : 4 130 000 euros (3)

Portée fiscale de la décision

6. La Cour de cassation, confirmant l’arrêt de la cour d’appel, juge que l’article 669 du CGI ne distingue pas entre personnes physiques et morales pour l’évaluation de l’usufruit. Le barème fiscal applicable aux usufruits viagers prévu à l’article 669, I du CGI n’est donc pas réservé aux cessions de droits démembrés entre personnes physiques. 
En l’espèce, l’usufruit cédé est de nature viagère. La liquidation des droits d’enregistrement afférents à la cession entre les deux SCI est donc soumise aux dispositions de l’article 669, I du CGI. La Cour précise que les dispositions de l’article 619 du Code civil n’ont aucune incidence sur cette qualification.

7. La question se pose de savoir si cette solution serait susceptible de transposition par le juge administratif en matière d’impôt sur le revenu. L’article 13,5 du CGI prévoit, en effet, que le produit résultant de la première cession d’un même usufruit temporaire est imposable au nom du cédant dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache le revenu procuré par le bien sur lequel porte l’usufruit (par exemple les revenus fonciers pour un immeuble loué nu).

8. L’administration considère que l’usufruit temporaire s’entend d’un usufruit à terme fixe. Elle ajoute que l’usufruit consenti à une société constitue par principe un usufruit à durée fixe, compte-tenu des dispositions de l’article 619 du Code civil. Elle admet seulement que la cession d’un usufruit « préconstitué » sur la tête du cédant antérieurement à la cession porte sur un usufruit viager, et n’est pas concernée par ce dispositif (BOI-IR-BASE-10-10-30 n° 90).

A noter : La transposition à l’identique de la solution de la Cour de cassation par le juge administratif serait susceptible de sortir du champ de ce dispositif toutes les cessions à des sociétés d’usufruits viagers (préconstitués ou non).