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Echec à la nomination judiciaire d'un expert pour évaluer les parts d'un associé exclu

Cass. com. 10-10-2018 n° 16-22.215

En présence d'une clause soumettant à l'arbitrage les litiges relatifs à l'évaluation des parts d'un associé exclu, le président du tribunal saisi d'une demande de nomination d'un expert chargé de cette évaluation a décliné à juste titre sa compétence au profit des arbitres.

1. Un associé de société civile exclu de la société par une décision de l'assemblée générale conteste la valeur de rachat de ses parts fixée par cette assemblée. En application de l'article 1843-4 du Code civil, qui prévoit en pareil cas de faire évaluer les parts par un expert désigné par les parties ou, à défaut d'accord entre elles, par le président du tribunal sans recours possible, l'associé demande au président du tribunal de grande instance la désignation d'un expert chargé d'évaluer ses parts.

Le président se déclare incompétent après avoir relevé que les statuts de la société contiennent une clause d'arbitrage, aux termes de laquelle les parties désignent un tribunal arbitral pour exercer, en cas de contestation sur la valeur des parts des associés retrayants ou exclus, les pouvoirs de l'expert chargé de fixer cette valeur conformément à l'article 1843-4, les arbitres statuant en amiables compositeurs et en dernier ressort.

2. Estimant que le président avait commis un excès de pouvoir en se déclarant incompétent alors qu'il aurait dû déclarer la clause d'arbitrage inapplicable ou nulle comme contraire aux dispositions d'ordre public de l'article 1843-4, l'associé forme un appel-nullité contre la décision du président (recours exceptionnellement ouvert en cas d'excès de pouvoir par dérogation à la règle de l'article 1843-4 interdisant tout recours ; Cass. com. 3-5-2012 n° 11-16.349 ; Cass. com. 15-5-2012 n° 11-12.999).

La cour d'appel ayant confirmé la décision du président, l'associé critique l'arrêt d'appel devant la Cour de cassation.

L'incompétence du président du tribunal est justifiée...

3. La Cour de cassation confirme que le président du tribunal n'avait pas commis d'excès de pouvoir et que l'appel-nullité était irrecevable. En effet, il résulte des éléments suivants qu'il incombait à la seule juridiction arbitrale d'examiner sa propre compétence :

  • la clause d'arbitrage avait la nature d'un contrat par lequel les parties s'engageaient à soumettre à l'arbitrage les litiges qu'elle visait, y compris celui relatif à la valeur de rachat des parts de l'associé exclu, de sorte que l'évaluation de ces parts entrait bien dans le champ de la clause ;
  • le caractère d'ordre public de l'article 1843-4 n'exclut pas l'arbitrabilité du litige ; la circonstance que cette clause accordait aux arbitres à la fois le pouvoir de procéder eux-mêmes à l'évaluation et de trancher le litige, contrairement à l'expert judiciaire, dont le pouvoir se limite à évaluer sans trancher, ne rendait pas la clause manifestement inapplicable ou nulle.

4. La Cour de cassation fait ici une application nouvelle d'un principe établi, selon lequel le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel (principe de « compétence-compétence » : CPC art. 1465). Il lui appartient donc de statuer sur sa propre compétence, de sorte qu'il peut, par exemple, apprécier si la clause d'arbitrage a bien été acceptée par les parties ou si le litige est bien visé par elle.

Conséquence de ce principe : le juge saisi d'un litige relevant de la clause d'arbitrage doit se déclarer incompétent. Il en va toutefois autrement, on le rappelle, si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la clause d'arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable (CPC art. 1448, al. 1).

L'associé avait cru pouvoir faire jouer cette exception en se prévalant du caractère d'ordre public de l'article 1843-4 du Code civil reconnu par la Cour de cassation (notamment, Cass. 1e civ. 25-11-2003 n° 00-22.089), auquel, selon lui, la clause ne pouvait pas faire échec. Peine perdue : la Cour de cassation, et c'est là l'apport essentiel de sa décision, énonce que la clause litigieuse ne contrevenait pas aux règles d'ordre public de ce texte.

5. Ajoutons que la règle selon laquelle le président du tribunal est seul compétent pour désigner l’expert (Cass. com. 30-11-2004 n° 03-15.278 et Cass. com. 30-11-2004 n° 03-13.756) n'interdit pas par principe de soumettre à l'arbitrage les litiges relatifs à l'évaluation des parts ; elle interdit seulement à d'autres juridictions (notamment, tribunal en sa forme collégiale, cour d’appel, juge des référés) de désigner l'expert.

... et les recours-nullité de l'associé sont irrecevables

6. En l'absence d'excès de pouvoir de la part du président du tribunal, l'appel-nullité était donc irrecevable. La cour d'appel n'ayant pas elle-même consacré d'excès de pouvoir en statuant ainsi, le pourvoi en cassation formé par l'associé contre l'arrêt d'appel a également été jugé irrecevable.

En effet, rappelle la Cour suprême, la règle de l'article 1843-4 interdisant les recours s'applique, par sa généralité, au pourvoi en cassation comme à toute autre voie de recours (Cass. com. 3-5-2012 n° 11-16.349 et Cass. com. 15-5-2012 n° 11-12.999 précités).