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Un associé ne peut faire saisir des documents sociaux sans avoir tenté de les consulter au siège

CA Paris 9-10-2018 n° 17/19171

L’associé d’une société civile ne peut pas demander en justice la saisie de documents sociaux en prévision d’un procès sans avoir, au préalable, mis en œuvre son droit de consultation au siège social pour tenter de les obtenir.

Un cadre dirigeant d’une société de capital-investissement bénéficie d’un intéressement lié à la performance des fonds investis (« carried interests »). Le paiement de cet intéressement est effectué sous forme de distribution de dividendes d’une société civile dont l’intéressé est associé.

Un désaccord survient entre l’associé et le gérant de la société civile concernant les règles de répartition des bénéfices. L’associé demande alors à celui-ci, sans succès, de lui fournir les informations comptables permettant de calculer ses droits à dividendes. Il sollicite à nouveau en vain cette communication lorsqu’il est convoqué à une assemblée générale appelée à voter la répartition des dividendes. Contestant le montant de ceux qui lui sont versés après cette assemblée, il obtient la saisie de divers documents comptables auprès du juge des requêtes, qui peut ordonner des mesures d’instruction avant tout procès (CPC art. 145).

La cour d’appel de Paris annule la saisie : il appartenait à l’associé, avant de saisir le juge des requêtes, de se rendre au siège social pour prendre lui-même connaissance, assisté ou non, des documents qui l’intéressaient, puis, en cas de refus d’accès à ces documents ou d’absence de certains d’entre eux, d’en solliciter officiellement la communication au gérant, le cas échéant en le mettant en demeure. A défaut d’avoir mis en œuvre ce mécanisme de consultation, l’associé n’avait pas de motif légitime à solliciter la saisie des documents sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

A noter : Une mesure d’instruction (dite « in futurum ») peut être ordonnée sur requête ou en référé s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (CPC art. 145). 

Un associé de société civile peut se fonder sur cette action de droit commun pour obtenir la communication de documents sociaux (CA Paris 19-9-2007 n° 06-15422). Encore faut-il qu’il justifie d’un motif légitime. Tel n’est pas le cas lorsque le demandeur peut aisément réunir lui-même les éléments de preuve demandés (Cass. com. 18-2-1986 n° 84-10.620).

Les associés de société civile ont le droit d’obtenir au moins une fois par an la communication des documents sociaux (C. civ. art. 1855). Le décret d’application de ce texte précise que tout associé non gérant de société civile a le droit de prendre connaissance au siège social de tous les documents sociaux, contrats, factures, correspondance, procès-verbaux et plus généralement de tout document établi par la société ou reçu par elle, d’en prendre copie et de se faire assister d’un expert (Décret 78-704 du 3-7-1978  art. 48). En l’espèce, l’associé avait demandé par courrier les informations mais il ne s’était pas rendu au siège social pour les consulter. La cour d’appel de Paris précise la procédure que l’associé aurait dû suivre pour justifier d’avoir exercé son droit de communication : dans un premier temps, il aurait dû se rendre au siège social (assisté ou non d’un expert) pour tenter d’accéder aux documents souhaités puis, en cas de refus d’accès ou de documents manquants, mettre en demeure le gérant de fournir ceux-ci. Cette procédure n’est pas expressément prévue par les textes. 

En pratique, toutefois, les associés non gérants d’une société civile, comme, par quasi-identité des dispositions applicables, ceux d’une société en nom collectif (C. com. art. L 221-8 et R 221-8) ou d’une société en commandite simple (C. com. art. L 222-1, L 222-7 et R 222-3), ainsi que les associés commandités non gérants d’une société en commandite par actions (cf. C. com. art. L 226-1) auront tout intérêt à suivre ces étapes avant de saisir le juge d’une demande d’instruction in futurum, afin de ne pas se voir opposer l’absence de motif légitime. La procédure est un peu différente dans les SARL, les SA et les SAS : les associés peuvent aussi consulter au siège social certains documents sociaux (mais la liste est restrictive) et, en cas de refus, ils peuvent demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte au dirigeant de les communiquer ou de désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication (C. com. art. L 238-1). Un associé de SARL qui s’adressait directement au juge sans avoir tenté de consulter ces documents au siège social s'est vu opposer l’absence d’exercice préalable de son droit de consultation (CA Agen 25-4-2018 n° 17/00448).