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Relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions sur les produits alimentaires

Ordonnance 2018-1128 du 12-12-2018 : JO 13 texte n° 19

Pendant deux ans, le seuil de revente à perte des produits alimentaires sera relevé de 10 % et les promotions sur ces produits seront encadrées en valeur et en volume.

1. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire du 30 octobre 2018 (loi Egalim) comprend une série de dispositions destinées à la fois à assurer une meilleure répartition de la valeur créée par les filières agroalimentaires entre tous les acteurs de la chaîne de production et à rééquilibrer les relations commerciales entre ces derniers. Elle a notamment habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures visant, pour une durée de deux ans, à relever le seuil de revente à perte des produits alimentaires et à encadrer les promotions sur ces produits.

2. L’ordonnance a été publiée. L’entrée en vigueur de ses dispositions sera indiquée pour chacune des mesures adoptées.

3. D’après nos informations, la DGCCRF diffusera un document pédagogique pour aider les entreprises à mettre en œuvre les dispositions de l’ordonnance.

4. Le même jour que celui de la publication de l’ordonnance, l’Autorité de la concurrence a rendu public l’avis n° 18-A-14 du 23 novembre 2018 portant sur le projet d’ordonnance. Cet avis est très réservé sur l’efficacité des mesures envisagées au regard de l’objectif de la loi Egalim rappelé ci-dessus, mais l’Autorité a pris le soin de préciser qu’elle n’a été saisie que du relèvement du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions et non de l’ensemble de la loi Egalim, de sorte qu’elle n’est pas en mesure d’apprécier l’efficacité du dispositif au regard des autres mesures. Nous exposerons brièvement la position de l’Autorité.

5. Les dispositions de l’ordonnance ne sont pas applicables dans les collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion et de Mayotte, ni dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Relèvement du seuil de revente à perte

Principe

6. Sauf exceptions, il est interdit à un commerçant de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif (C. com. art. L 442-2, al. 1). Le prix d'achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat, minoré du montant de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur (ristournes hors facture, rémunération de la coopération commerciale), des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport (al. 2). Pour les grossistes, ce prix est affecté d'un coefficient de 0,90 (al. 3).

7. Pour une durée de deux ans, à compter d’une date qui sera fixée par décret et au plus tard du 1er juin 2019, ce prix d’achat effectif sera affecté d’un coefficient de 1,10 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur (Ord. 2018-1128 art. 1 et 2). Ainsi le distributeur ne pourra pas réaliser une marge inférieure à 10 % du prix d’affectif.

Comme actuellement, le non-respect du seuil de revente à perte sera puni d’une amende de 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Cette amende pourra être portée à la moitié des dépenses de publicité dans le cas où une annonce publicitaire ferait état d'un prix inférieur au prix d'achat effectif. La cessation de l'annonce publicitaire pourra être ordonnée (C. com. art. L 442-2, al. 1).

Position de l’Autorité de la concurrence

8. L’Autorité de la concurrence considère que ce dispositif pourrait dégrader la situation économique des fournisseurs des produits actuellement revendus à un prix inférieur au nouveau seuil de revente à perte, qui seraient essentiellement les opérateurs du secteur agroalimentaire détenant des marques nationales dont, par exemple, les entreprises multinationales du secteur des alcools. L’effet de la mesure sur les consommateurs serait également négatif : selon l’Autorité, l’effet inflationniste pourrait varier de 0,6 à 4,5 milliards d’euros sur deux ans, soit 10 à 78 € par an et par ménage. Par ailleurs, contrairement à l’objectif recherché par le Gouvernement, l’amélioration de la situation des fournisseurs des produits non directement concernés, c’est-à-dire des produits vendus par les distributeurs avec une marge supérieure à 10 % du prix d’achat effectif, est peu probable. En particulier, le comportement « de transfert » des distributeurs, censés profiter de leurs marges accrues sur les produits actuellement revendus à faible marge pour offrir de meilleures conditions d’achat aux autres fournisseurs, ne repose que sur la « bonne volonté » de l’ensemble des acteurs (pt 104).

Encadrement des promotions

Promotions concernées

9. L’ordonnance encadre, pendant deux ans, les avantages promotionnels, immédiats ou différés, ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ou de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie (art. 2).

Les avantages promotionnels devant avoir « pour effet de réduire le prix de vente au consommateur », ne sont concernées que les promotions par le prix et non les promotions par l’objet, telles que les ventes avec prime, ou les promotions par le jeu, telles que les loteries.

Cet encadrement est applicable par dérogation à celui prévu à l'article L 441-7, al. 9 du Code de commerce, qui limite pour certains produits agricoles et pour les produits laitiers les promotions à 30 % de la valeur du barème des prix unitaires. Par conséquent, pendant les deux années d'application de l'ordonnance, cet encadrement prévue par le Code de commerce sera inapplicable (Rapport au président de la République relatif à l’ord. 2018-1128).

Produits alimentaires non concernés

10. Ne sont pas visés les produits périssables menacés d’altération rapide, à condition que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente (Ord. art. 3, IV).

Cette exclusion correspond à la non-application de l’interdiction de revente à perte à ces produits : C. com. art. L 442-4, I-6° (Rapport au président de la République précité).

Encadrement des promotions en valeur

11. A compter du 1er janvier 2019, les avantages promotionnels, le cas échéant cumulés, accordés au consommateur pour un produit déterminé, ne devront pas être supérieurs à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente (art. 3, II). Le plafond de 34 % est destiné à permettre la poursuite des promotions du type « 2 produits achetés, 1 offert » (Rapport au président de la République précité).

Il peut y avoir cumul des avantages si, pour un produit déterminé, des avantages sont accordés tant par le distributeur que par le fournisseur.

La limitation en valeur s’appliquant à un « produit déterminé », il sera nécessaire que la promotion soit attachée à un produit identifiable. On peut alors se demander, par exemple, si le plafond de 34 % s’appliquera à une opération promotionnelle consistant à accorder une réduction du prix global payé par le consommateur lors de son passage en caisse.

La notion de « prix de vente au consommateur » correspond au prix pratiqué par le distributeur avant l’organisation de la promotion. En cas de contrôles, le distributeur devra, comme actuellement en cas d’annonce de réduction de prix, justifier de la réalité et de la loyauté de ce prix de référence, sous peine d’être poursuivi pour pratique commerciale trompeuse (C. consom. art. L 121-2).

12. L’Autorité de la concurrence considère que cet encadrement des promotions en valeur pourrait favoriser l’instauration de prix de revente minimum. « En effet, un fournisseur octroyant des remises promotionnelles en valeur dont le montant est supérieur à 34 % du prix de vente au consommateur ne pourra pas directement modifier le prix de vente au consommateur du produit correspondant. Le distributeur sera alors contraint de modifier son prix de vente pour qu’il soit compatible avec le dispositif promotionnel mis en place par le fournisseur. Cela introduit donc potentiellement un contrôle du fournisseur sur les prix de vente des distributeurs, ce qui peut favoriser les mécanismes collusifs mis en place par les fournisseurs. Par exemple, pour les promotions indissociables de l’emballage du produit (coupon de réduction imprimé directement sur l’emballage), le distributeur sera contraint d’augmenter son prix de vente pour qu’il atteigne au minimum 2,94 fois (1 divisé par 0,34) le montant de la réduction octroyée par le fournisseur.»

Encadrement en volume

13. Qu’ils soient accordés par le fournisseur ou par le distributeur, les avantages promotionnels ne peuvent porter que sur des produits ne représentant pas plus de 25 % (art. 3, III) :

  1. Soit du chiffre d’affaires prévisionnel fixé par la convention unique de l’article L 441-7 du Code de commerce ;
  2. Soit du volume prévisionnel prévu par un contrat « portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur », c’est-à-dire un contrat de fabrication de produits sous marque de distributeur (MDD) ;
  3. Soit des engagements de volume portant sur des produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d'animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l'aquaculture.

Ce plafond en volume a pour objectif d’empêcher la multiplication des promotions pour contourner le plafond lié à la réduction en valeur des promotions.

Des incertitudes existent quant aux éléments prévisionnels sur lesquels le plafond peut être calculé, qu’il s’agisse du chiffre d’affaires ou des volumes prévisionnels. Par exemple, quel périmètre de chiffre d’affaires doit être retenu ? Quelle assiette de calcul prendre en compte lorsque plusieurs fournisseurs approvisionnent le distributeur pour une même référence, ce qui peut être le cas pour l’approvisionnement de produits MDD (Avis Autorité conc.)

14. L’entrée en vigueur de ce dispositif s’effectue selon les règles suivantes :

  • les dispositions du 1° sont applicables à toute convention unique conclue avant le 13 décembre 2018, dès lors que cette convention, en application de l'article L 441-7, al. 5 du Code de commerce, devait être conclue au plus tard le 1er mars 2019 ;
  • les dispositions des 2° et 3° (produits MDD et produits agricoles) sont applicables à tout contrat conclu avant le 13 décembre 2018 et toujours en cours d'exécution à cette date.

15. Pour la mise en œuvre du dispositif, la convention unique et le contrat de fabrication de produits MDD doivent fixer respectivement un chiffre d'affaires prévisionnel et un volume prévisionnel (Ord. art. 3, III-al. 5).

Il est possible que les opérateurs soient tentés de surévaluer ces montants pour pouvoir organiser davantage de promotions.

Sanctions

16. Tout manquement aux obligations de l’ordonnance par le fournisseur ou le distributeur est passible d'une amende administrative d’un montant maximal de 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € ou la moitié des dépenses de publicité effectuées au titre de l'avantage promotionnel pour une personne morale (Ord. art. 3, V). L’incrimination est formulée de manière imprécise : quels manquements sont visés ? Comment imputer la responsabilité du manquement ?

L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L 470-2 du Code de commerce (même art.).

En particulier, l'administration doit informer par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de 60 jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. Par ailleurs, l’amende peut être publiée.

Le maximum de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive (même art.).

Position de l’Autorité de la concurrence

17. L’Autorité émet un avis très réservé sur l’encadrement des promotions en valeur et défavorable sur l’encadrement en volumes, cette mesure comportant trop de risques compte tenu de l’objectif affiché.

Elle considère notamment que l’encadrement des promotions limitera la concurrence que se livrent les fournisseurs et les distributeurs et conduira à une hausse des prix de vente aux consommateurs qui s’ajoutera à l’effet inflationniste engendré par le relèvement du seuil de revente à perte. Quant à l’encadrement en volume, il pourrait créer des distorsions de concurrence et contribuer à fragiliser des fournisseurs en difficulté, notamment ceux de produits agricoles ou de produits de première transformation, qui utilisent actuellement beaucoup les promotions. Une diminution significative des volumes de ventes de ces produits pourrait avoir des répercussions directes sur les producteurs agricoles que le Gouvernement cherche à protéger à travers le dispositif.

Suspension possible du dispositif

18. Le Gouvernement peut, par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de la Concurrence, suspendre le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions, le cas échéant jusqu'au terme de la période de deux ans, pour tout ou partie des produits concernés, si le comportement d'un nombre significatif d'acheteurs, lors de la négociation ou de l'exécution des conventions uniques et des contrats mentionnés ci-dessus n° 13, est de nature à compromettre sensiblement l’atteinte des objectifs de la loi Egalim suivants : le rétablissement de conditions de négociation plus favorables pour les fournisseurs, le développement des produits dont la rentabilité est trop faible et un meilleur équilibre dans les filières alimentaires (Ord. art. 5).

En tout état de cause, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport d’évaluation sur les effets de l’ordonnance avant le 1er octobre 2020 (Ord. art. 4).