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Action en répétition de l’indemnité payée au locataire commercial évincé qui ne s’est pas réinstallé

Cass. 3e civ. 28-3-2019 n° 17-17.501 

L’autorité de la chose jugée attachée à la décision condamnant le bailleur à payer une indemnité de réinstallation au locataire n’interdit pas au bailleur de réclamer le remboursement de cette somme si le locataire ne se réinstalle pas, cette circonstance constituant un fait nouveau.

L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité (C. civ. art. 1355 ; ex-art. 1351).

À la suite du non-renouvellement d’un bail commercial, un arrêt irrévocable condamne le propriétaire à payer diverses indemnités au titre de l’éviction du locataire. Dénonçant la non-réinstallation de ce dernier, le propriétaire agit en répétition des indemnités de remploi, pour trouble commercial et pour frais de déménagement.

L’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt sur l’indemnité d’éviction fait-elle obstacle à cette demande ? 

Non, juge la Cour de cassation : l’autorité de la chose jugée ne peut pas être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, ce qui était le cas en l’espèce, puisque, après l’arrêt litigieux, le locataire ne s’était pas réinstallé.

A noter : L’indemnité d’éviction a pour objet de compenser le préjudice résultant pour le locataire de la perte de son droit au bail et comprend une indemnité principale ainsi que des indemnités accessoires correspondant à l’ensemble des frais rendus nécessaires par la perte du local (C. com. art. L 145-14). À ce titre, le bailleur peut être condamné à payer des frais de déménagement et de réinstallation (par exemple, frais d’acquisition d’un nouveau droit au bail, frais fiscaux ou d’agence, indemnité compensant le trouble commercial subi du fait de la désorganisation de l’activité, indemnité de double loyer, etc.).

Cette indemnité pour frais de réinstallation n’est due que pour autant que le locataire se réinstalle, à charge pour le bailleur de prouver l’absence de réinstallation (Cass. 3e civ. 12-1-2017 no 15-25.939).

La mise en œuvre de cette règle relative à la charge de la preuve soulève un certain nombre de difficultés : pour évaluer l’indemnité, les juges doivent en effet se placer au moment le plus proche de la réalisation du préjudice, soit en principe au jour du départ effectif du locataire (Cass. com. 21-4-1966) ou à la date à laquelle ils statuent si l’éviction n’est pas réalisée (Cass. 3e civ. 24-11-2004 no 03-14.620). Or, par hypothèse, la question de la réinstallation ou non du locataire ne sera pas toujours résolue à cette date. Lorsque le propriétaire ne peut pas prouver de manière certaine que le locataire ne s’est pas réinstallé ou ne se réinstallera pas, le juge a deux options : si la réinstallation apparaît d’ores et déjà comme incertaine, il ordonne parfois la consignation du montant de l’indemnité jusqu’à la justification du paiement des frais ; sinon, il condamne le propriétaire à verser une indemnité d’éviction.

Le propriétaire qui s’aperçoit que le locataire ne s’est finalement pas réinstallé peut-il obtenir la restitution de l’indemnité, malgré l’autorité de la chose jugée attachée à la décision le condamnant à la verser ? Oui, répond la Haute Juridiction : l’autorité de la chose jugée ne joue que si les faits invoqués à l’appui de la nouvelle demande sont identiques. À défaut, une nouvelle saisine du juge est possible (jurisprudence constante ; notamment, Cass. 2e civ. 3-6-2004 no 03-14.204 ; Cass. 3e civ. 25-4-2007 no 06-10.662).

La décision commentée fournit une illustration intéressante de la notion de fait nouveau postérieur en matière de bail commercial (voir déjà en ce sens, malgré la référence à la notion de fraude : Cass. 3e civ. 26-09-2001 no 99-21.778).

On peut penser la décision dissuadera les locataires n’ayant pas réellement l’intention de se réinstaller d’invoquer des frais de réinstallation uniquement pour augmenter le montant de l’indemnité d’éviction. Ils risquent en effet de se voir condamnés ultérieurement à la restituer, au prix d’une nouvelle procédure dont ils auront vraisemblablement à supporter le coût.