Actualités

Le tribunal qui prononce une interdiction de gérer a l’obligation de motiver sa décision

Cass. com. 17-4-2019 n° 18-11.743 ; Cass. com. 17-4-2019 n° 18-11.685 

Le juge qui prononce une interdiction de gérer doit motiver la sanction sur son principe et son quantum au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle du dirigeant ; il ne peut pas se borner à retenir que la sanction est justifiée au regard des fautes.

L’article L 653-8 du Code de commerce énumère les cas dans lesquels le dirigeant d’une société en redressement ou en liquidation judiciaire peut être condamné à une interdiction de gérer.

La Cour de cassation vient de rappeler qu’il résulte de cet article et de l’article 455 du Code de procédure civile que le tribunal qui prononce une interdiction de gérer doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l’intéressé.

Faisant application de ce principe, elle a censuré la décision d’une cour d’appel qui avait prononcé contre un dirigeant une interdiction de gérer de cinq ans pour avoir sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de la société dans le délai légal, en se bornant à retenir qu’une telle sanction était justifiée au regard des fautes commises.

Dans un second arrêt, la Cour de cassation a confirmé la décision d’une cour d’appel ayant condamné le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire à une interdiction de gérer de huit ans, jugeant que cette cour d’appel avait apprécié la sanction au regard de la gravité des fautes du dirigeant :

  • la cour d’appel avait retenu que la comptabilité tenue par le dirigeant, dépourvue de toute valeur probante, était fictive, manifestement incomplète ou irrégulière car elle présentait de graves irrégularités (notamment, absence de factures de vente et d’achat, défaut d’écritures de sorties d’actif concernant les cessions d’immobilisation, encaissements de créances de clients effectués sur le compte personnel du dirigeant et encaissements enregistrés sur les comptes bancaires de la société non identifiés et supérieurs aux montants facturés) ;
  • après avoir constaté qu’aucune déclaration de cessation des paiements n’avait été effectuée, la procédure collective ayant été ouverte le 4 août 2011 à la demande du ministère public, alors que la date de cessation des paiements avait été fixée au 9 juillet 2010 et que la société avait cessé toute activité dès le mois d’octobre 2010, la cour d’appel en avait déduit que le dirigeant avait omis de procéder à la déclaration de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours.

A noter : Une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L 653-8 du Code de commerce avait été soumise à la Cour de cassation. Il était soutenu que cet article n’impose pas au tribunal qui prononce une interdiction de gérer de motiver sa décision, ce qui était contraire à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. La Cour de cassation avait refusé de renvoyer la question au Conseil constitutionnel car l’article 455 du Code de procédure civile, applicable aux matières régies par le livre VI du Code de commerce et auquel l’article L 653-8 ne déroge pas, fait obligation au juge de motiver sa décision (Cass. com. QPC 5-7-2018 no 18-11.743). La Haute Juridiction avait précisé que, pour condamner un dirigeant à une interdiction de gérer, le juge « doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l’intéressé ». Elle reprend cette formulation dans l’attendu de principe du premier arrêt commenté.

C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation censure une décision d’appel pour violation de ce principe. Jusqu’alors, elle s’assurait que les griefs retenus par les juges du fond pour justifier la sanction étaient suffisamment fondés, et n’exerçait pas de contrôle sur la façon dont ceux-ci faisaient application de leur pouvoir souverain d’appréciation de l’existence et de l’étendue de la sanction au regard des fautes et de la situation personnelle du dirigeant.