Des actionnaires qui déterminent de fait la politique de la société n'agissent pas de concert
Cass. com. 22-11-2016 n° 15-11.063
La détention de la majorité des droits de vote d'une société holding par des actionnaires qui déterminent conjointement, en fait, la politique menée par celle-ci à l'égard d'une filiale cotée ne constitue pas une action de concert.
La majorité des droits de vote d'une société cotée sur Euronext est détenue par une société holding dont les actionnaires majoritaires sont un père et l'un de ses enfants. Ceux-ci projettent d'apporter leur participation dans la holding à une autre société constituée entre eux. Cette dernière société devant, à la suite de l'apport, détenir indirectement plus de 30 % des droits de vote de la société cotée, ce qui l'obligerait à déposer une OPA sur les titres de celle-ci (C. mon. fin. art. L 433-3), elle demande à l'Autorité des marchés financiers (AMF) de la dispenser d'un tel dépôt sur le fondement de l'article 234-9, 6° de son règlement général. Aux termes de ce texte, l'AMF peut en effet accorder une dérogation à l'obligation de déposer une offre en cas de détention préalable de la majorité des droits de vote de la société par le demandeur ou par un tiers, agissant seul ou de concert.
L'AMF accorde la dérogation. Saisie d'un recours contre cette décision par les minoritaires (les autres enfants), la cour d'appel de Paris la confirme, estimant que les actionnaires majoritaires agissent bien de concert avec la société holding : ils en détiennent la majorité du capital et des droits de vote ; ils sont les seuls membres de la famille à exercer des fonctions opérationnelles au sein du groupe ; le père, en sa qualité de représentant de la société holding, exerce les droits de vote (plus de 50 %) attachés aux actions de la société cotée détenues par la holding dans le sens des décisions prises au sein de celle-ci, pour lesquelles les actionnaires majoritaires sont en mesure de faire prévaloir leurs positions depuis plusieurs années ; ceux-ci déterminent conjointement, en fait, la politique menée par la holding à l'égard de la société cotée.
La Cour de cassation censure cette décision. Il ne résulte pas de ces motifs que les actionnaires majoritaires ont conclu un accord en vue d'exercer des droits de vote pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la holding ou pour obtenir le contrôle de cette société.
A noter : Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis d'une société ou pour obtenir le contrôle de celle-ci (C. com. art. L 233-10, I).
L'action de concert suppose l'existence d'un accord comportant des obligations pour chacune des parties. Une situation de fait résultant d'un parallélisme des comportements entre associés sans concertation préalable ne saurait, à elle seule, constituer une action de concert, pas plus que le seul fait d'être actionnaire, voire membre du conseil d'administration, de la société concernée.
Certes, la loi n'exige pas que l'accord soit écrit. L'existence d'une action de concert peut ainsi être démontrée par un faisceau d'indices graves, précis et concordants. Ont par exemple été retenues comme révélant l'action de concert des acquisitions massives d'actions de la société traduisant, non pas un simple parallélisme des comportements, mais une démarche collective organisée visant à permettre d'obtenir en assemblée générale une recomposition du conseil d'administration (Cass. com. 15-5-2012 n° 11-11.633).
En l'espèce, les éléments relevés par la cour d'appel ne constituaient pas un tel faisceau d'indices, si bien que l'existence même d'un accord entre les actionnaires majoritaires faisait défaut.