Fusion : pas de condamnation pénale de la société absorbante pour des faits commis par l'absorbée
Cass. crim. 25-10-2016 n° 16-80.366
L’article 121-1 du Code pénal doit s'interpréter comme interdisant d'engager des poursuites pénales à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que celle-ci ne soit radiée du registre du commerce.
1. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'une fusion par absorption au sens de la directive sur les fusions de sociétés anonymes (Dir. 2011/35 du 5-4-2011, ex-dir. 78/855 du 9-10-1978) entraîne la transmission de l’obligation de payer une amende infligée par une décision définitive après la fusion pour des infractions commises avant celle-ci par la société absorbée (CJUE 5-3-2015 aff. 343/13).
La question se posait de savoir si la chambre criminelle de la Cour de cassation, dont la solution en la matière, fondée sur le principe de personnalité des peines (C. pén. art. 121-1), était inverse (Cass. crim. 14-10-2003 n° 4992), s'alignerait sur la doctrine de la Cour européenne.
2. La réponse est négative (Cass. crim. 25-10-2016 n° 16-80.366, rendu dans un cas où une société exploitant un laboratoire d'analyse médicale qui en avait absorbé une autre était poursuivie pour le versement par cette dernière de commissions à des auxiliaires médicaux en violation des règles du Code de la santé publique).
Nous revenons sur les motifs ayant conduit la Cour suprême à maintenir sa position.
L'interdiction des poursuites pénales contre l'absorbante
3. La solution de la CJUE reposait sur l'interprétation de l'article 19, 1 de la directive fusion. Aux termes de ce texte, la fusion entraîne, non seulement « la transmission universelle, tant entre la société absorbée et la société absorbante qu'à l'égard des tiers, de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante » mais aussi la disparition de l’absorbée. Si, estime la CJUE, l’obligation de payer l’amende n’était pas transmise comme élément du passif de celle-ci, sa responsabilité pénale serait éteinte, ce qui serait contraire à la nature même d’une fusion par absorption telle que définie par la directive (transfert de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante par suite d’une dissolution sans liquidation) (points 28 et 29).
La Cour de cassation considère néanmoins que cet argument ne permet pas de fonder des poursuites contre l'absorbante car l'article 19, 1 ainsi interprété est dépourvu d'effet direct à l'encontre « des particuliers » (personnes physiques ou morales). Cette absence d'effet direct résulte de la jurisprudence de la CJUE selon laquelle une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations à l'égard d’un particulier et ne peut pas être invoquée en tant que telle à son encontre (notamment, CJUE 24-1-2012 aff. 282/10 point 37 ; CJUE 15-1-2015 aff. 30/14 point 30).
4. En l'absence d'effet direct du texte européen, la chambre criminelle énonce que l’article 121-1 du Code pénal (nul n'est responsable pénalement que de son propre fait) ne peut s'interpréter que comme interdisant d'engager des poursuites pénales à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique.
Par suite, elle censure un arrêt d'appel ayant admis, conformément à la décision de la CJUE du 5 mars 2015, que la fusion-absorption, qui avait eu pour effet de transférer le patrimoine et la personnalité de la société absorbée à l'absorbante, avait aussi entraîné la transmission de sa responsabilité pénale.
5. Les juges d'appel avaient ajouté que, en l'espèce, cette transmission était d'autant plus avérée que la société absorbante était propriétaire de près de la moitié du capital de la société absorbée et que les dirigeants et biologistes en poste au sein de celle-ci étaient en même temps associés de la société absorbante ; ces personnes ne pouvaient donc pas ignorer les agissements répréhensibles au sein de la société absorbée.
Ces éléments ne permettent pas de poursuivre la société absorbante. La constatation du caractère frauduleux de la fusion (fusion réalisée dans le seul but de faire échapper la société absorbée aux poursuites) ne permet pas non plus d'écarter le principe de personnalité des peines posé à l'article 121-1 précité puisque ce texte ne prévoit pas que la fraude déroge à ce principe. Néanmoins, l'absorbante pourrait être poursuivie pour complicité avec l'absorbée ou encore pour des infractions « de conséquence », tel le recel ou le blanchiment.
La date de la disparition de l'absorbée
6. Le principe d'interdiction d'engagement des poursuites à l'encontre de l'absorbante pour des faits commis par l'absorbée avant que celle-ci perde son existence étant affirmé, l'autre point en débat était de déterminer la date à laquelle cette perte survient.
La réponse de la chambre criminelle, inédite, est sans ambiguïté : en matière de responsabilité pénale, la date à prendre en considération pour la disparition de la société absorbée est celle de sa radiation du registre du commerce et non pas celle de l'assemblée générale approuvant l'opération.
7. Cette solution rejoint celle adoptée par la chambre commerciale de la Cour de cassation : la date à prendre en compte pour déterminer si une société dissoute à la suite d'une fusion a la capacité d'agir en justice est celle de la publication de la dissolution au registre (Cass. com. 24-5-2011 n° 10-19.222).
De même, en matière de transmission universelle du patrimoine d'une société dissoute à son associé unique, la chambre commerciale estime que la disparition de la personnalité juridique de la société n'est rendue opposable aux tiers que par la publication au registre des actes l'ayant entraînée (Cass. com. 20-9-2011 n° 10-15.068).