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Provisions et dépréciations non déduites : un risque pour les entreprises et leur CAC à bien appréhender !

CE 5-12-2016 n° 398859 et CE 23-12-2013 n° 346018
Du fait de la position adoptée par le Conseil d’Etat à l’occasion des arrêts Foncière du Rond-Point et Orange, les provisions et dépréciations non déduites sont désormais porteuses d’un risque fiscal pour les entreprises et d’un risque d’audit pour les CAC à ne pas négliger.

L’arrêt Orange de décembre dernier (CE 5-12-2016 n° 398859) confirme la position du Conseil d’Etat rendue dans l’arrêt Foncière du Rond-Point (CE 23-12-2013 n° 346018) concernant les provisions et dépréciations comptabilisées mais non déduites fiscalement à tort : toutes les provisions et dépréciations constatées sur le plan comptable et qui répondent aux conditions fiscales de déduction doivent dorénavant être déduites sur le plan fiscal. Dans le cas contraire, et si l’erreur est délibérée, le risque est la double imposition de la provision en cause (taxation de la reprise et non-déduction de la dotation).

Il est désormais clair que la non-déduction de ces provisions/dépréciations est porteuse d’un risque fiscal pour les entreprises et d’un risque d’audit pour les Commissaires aux comptes.

Quelques mois après le nouvel arrêt Orange, il nous a donc paru nécessaire de :

  • rappeler la règle de déduction des dotations et de taxation des reprises de provision/dépréciation ;
  • rappeler le risque encouru par les entreprises lorsqu’elles ne déduisent pas leurs provision/dépréciation à tort ;
  • et surtout : identifier les zones à risque (nature de provision/dépréciation et situations comportant le risque de qualification d’erreur délibérée).

Quelle est la règle de déduction des dotations et de taxation des reprises de provision/dépréciation ?

Règle de déduction des dotations aux provisions/dépréciations

Une provision ou une dépréciation comptabilisée doit être déduite fiscalement, sauf si les règles propres au droit fiscal y font obstacle. Une entreprise ne peut donc pas choisir de ne pas déduire une provision ou une dépréciation comptabilisée qui remplit les conditions de déduction.

Règle de taxation des reprises de provision/dépréciation

Désormais la règle est la suivante. Dès lors qu’elle est intervenue au cours d’un exercice postérieur au premier exercice non prescrit, une reprise est taxée :

  • si la provision/dépréciation a été déduite,
  • si la provision/dépréciation était déductible et n'a pas été déduite à tort.

Quel est le risque encouru par les entreprises lorsqu’elles ne déduisent pas leurs provisions/dépréciations à tort ?

Si une provision comptabilisée et répondant aux conditions de déduction fiscale n’a pas été déduite et a donc été réintégrée fiscalement à tort :

  • sa reprise est désormais taxable (même si cette dotation a été effectuée au cours d’un exercice prescrit) sauf si elle intervient sur le premier exercice non prescrit ;
  • avec le risque de ne pas pouvoir bénéficier de la déduction de la provision en cas d’erreur délibérée.

Quelles sont les situations comportant un risque élevé ?

Lorsque l’entreprise choisit délibérément d’omettre de déduire la provision : risque de double imposition et des pénalités de 40 % !

Dans ce cas, il sera impossible d’appliquer la règle des corrections symétriques. Ainsi :

  • la reprise sera taxée dans le cadre du contrôle,
  • la déduction de la dotation ne sera pas autorisée.

L’entreprise subira donc une double imposition résultant de la taxation de la reprise de la provision sans déduction corrélative de la dotation.

En outre, des pénalités de 40% sont à craindre, s’agissant d’un manquement délibéré !

A noter : Définir le caractère « délibéré » ou non de la non-déduction de la provision est un réel enjeu. Si la non-déduction de la provision n’est pas délibérée, il y a peu de conséquences financières alors que si elle l’est, les conséquences peuvent être très lourdes.

Quelles sont les situations dans lesquelles l’entreprise risque d’être considérée en « erreur délibérée » ?

L’omission délibérée est le comportement conscient d’aboutir à un résultat déterminé en ayant la parfaite connaissance que ce résultat n’est pas correct.

Ainsi, l’établissement du caractère délibéré d’une erreur suppose la réunion d’un faisceau d’indices et notamment la démonstration de la recherche par l’entreprise d’un intérêt fiscal à la non-déduction de la provision. Dès lors, l’analyse objective de la réglementation et de la jurisprudence relative à la provision en cause doit être complétée par une analyse de la situation de l’entreprise concernée et de ses motivations à s’abstenir de pratiquer sa déduction fiscale.

A notre avis, dès lors que la recherche d’une optimisation fiscale est avérée, devraient notamment être concernées les situations suivantes :

  • lorsque l’entreprise s’est fait redresser sur la reprise d’une provision non déduite et qu’elle continue à ne pas déduire en toute connaissance de cause sur les exercices suivants ;
  • lorsque l’entreprise s’abstient de déduire une provision alors qu’il existe une doctrine administrative ou une jurisprudence claire du Conseil d’Etat qui prévoit la déduction des provisions comptabilisées (zones de connexion comptabilité/fiscalité). Par exemple :
    • les dépréciations de créances douteuses, y compris en cas d’estimation statistique,
    • les dépréciations de stocks de produits finis et marchandises,
    • les dépréciations de titres de placement,
    • les dépréciations d’immobilisations, sauf celles calculées d’après les valeurs d’usage,
    • les provisions pour prestations (continues) à fournir,
    • les provisions pour chèques cadeaux,
    • les provisions pour licenciement notifié à la clôture,
    • les provisions pour dépollution,
    • les provisions pour litige, sauf celles constituées avant que le fait générateur fiscal ne soit intervenu.
  • lorsque l’entreprise s’abrite derrière une évaluation jugée forfaitaire pour ne pas déduire fiscalement une provision (c’est particulièrement le cas dans le domaine des stocks ou créances douteuses pour lesquels une analyse pourrait souvent permettre de justifier le montant des provisions) ;
  • lorsque l’entreprise membre d’un groupe d’intégration fiscale s’abstient de déduire certaines provisions « intragroupe » parce que le fait de les déduire l’expose à un risque de pénalisation lors de leur reprise. Les provisions concernées sont :
    • les provisions pour dépréciation de titres de sociétés membres du groupe (même si l’enjeu est limité lorsque les titres sont des titres de participation relevant du régime du long terme) ;
    • les provisions pour dépréciation de créances sur des sociétés membres du groupe ;
    • les provisions pour risques encourus du fait d’une société du groupe.
  • de même, lorsqu’une entreprise prévoyant d’être absorbée s’abstient de déduire certaines provisions parce qu’elles augmenteraient des reports déficitaires qu’elle risque de perdre.

Que faire en cas de doute sur le caractère déductible d’une provision/dépréciation ?

Dans la mesure où il n’existe pas de texte clair, il est recommandé, par prudence, de déduire ces provisions.  

En toute hypothèse, il est conseillé de prévoir une mention expresse dans la liasse fiscale, visant à exposer la position du contribuable.  Si l’entreprise ne déduit pas, cette mention devrait permettre d’éviter que la provision ou la dépréciation en cause puisse être considérée comme relevant d’une erreur délibérée.

Quelles sont les situations où il n’existe pas de risque ?

Lorsqu’elle applique un texte, une doctrine ou une jurisprudence du Conseil d’Etat qui interdit clairement la déduction, l’entreprise est couverte

Dès lors que les règles propres au droit fiscal s’opposent à la déduction des provisions dotées comptablement, l’entreprise ne court aucun risque lié aux arrêts du Conseil d’Etat Foncière du Rond-Point et Orange.

Rappelons que ces règles fiscales donnent notamment lieu aux divergences suivantes  :

  • les provisions dont la déduction est interdite par une loi (provisions pour indemnités de licenciement économique, retraites…) ;
  • les provisions portant sur des pertes ou charges elles-mêmes non déductibles (provisions pour impôts, pénalités…) ;
  • la prise en compte des événements postérieurs à la clôture dans l’estimation des provisions comptables ;
  • les provisions pour restructuration (rupture de contrat, de bail…).

Du fait de la position adoptée par le Conseil d’Etat à l’occasion des arrêts Foncière du Rond-Point et Orange, toutes les provisions/dépréciations constatées sur le plan comptable et qui répondent aux conditions fiscales de déduction doivent dorénavant être déduites sur le plan fiscal. Dans le cas contraire, et si l’erreur a un caractère délibéré, le risque est la double imposition de la provision en cause (taxation de la reprise et non-déduction de la dotation).

Conclusion

Le message est donc clair :

- pour les Commissaires aux comptes : ils doivent dorénavant inclure cette nouvelle zone de risques dans leurs travaux. Si l’abstention de déduction fiscale relève d’une erreur délibérée, une provision pour risque fiscal devrait, à notre avis, être constituée, même en l’absence de contrôle en cours.

- pour les entreprises : contrairement aux réflexes antérieurs, elles ont intérêt à déduire fiscalement leurs provisions même s’il existe un doute sur cette déductibilité.