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Crédit à une entreprise en difficulté : la difficile mise en cause de la responsabilité du prêteur

Cass. com. 13-12-2017 n° 16-21.498

Le fait qu’une banque ait accordé des prêts non conformes aux termes d’un accord de règlement amiable et qu’elle ait multiplié les garanties ne caractérise ni une fraude, ni une immixtion dans la gestion ni une disproportion des garanties qui entraînerait sa responsabilité.

Les créanciers d’une entreprise faisant l’objet d’une procédure collective ne peuvent pas être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours qu’ils ont consentis, sauf en cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion de l’entreprise ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci (C. com. art. L 650-1, al. 1). Lorsque la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge (art. précité, al. 2).

Dans le cadre d’une procédure de règlement amiable, des époux agriculteurs et une entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) dont ils sont associés concluent, avec leurs principaux créanciers dont leur banque, un accord qui prévoit la restructuration des prêts déjà consentis par celle-ci et l’octroi de deux nouveaux prêts. La banque accorde ainsi un premier prêt (89 000 €) à l’EARL avec en garantie le cautionnement des époux et un second prêt (initialement fixé à 325 000 € puis porté à 365 000 €) aux époux moyennant un nantissement sur leur parts dans l’EARL et une hypothèque sur leurs biens. Un an plus tard, la banque consent un nouveau crédit à l’EARL (24 000 €) pour l’achat d’un tracteur sur lequel elle constitue un warrant agricole. Après l’échec d’une nouvelle procédure de règlement amiable, l’EARL et les époux sont mis en redressement judiciaire. Ils mettent alors en cause la responsabilité de la banque pour soutien abusif sur le fondement de l’article L 650-1, afin d’obtenir des dommages-intérêts et l’annulation des garanties prises pour les trois prêts.

La cour d’appel de Poitiers retient la responsabilité de la banque pour les raisons suivantes : celle-ci a consenti aux époux, sans solliciter l’accord du conciliateur, un prêt dont le montant n’était pas celui prévu par l’accord de règlement amiable et qui était contraire aux intérêts des époux, leur situation financière étant déjà tendue ; elle a aussi pris de nouvelles garanties pour les prêts consentis à l’EARL alors que cela lui était interdit (cf. C. rur. art. L 351-6, al. 3).

Cassation de cette décision par la Haute Juridiction. Les motifs ainsi retenus par la cour d’appel étaient impropres à caractériser, à l’encontre de la banque, une fraude, laquelle s’entend, en matière civile ou commerciale, comme un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive. La cour d’appel n’avait pas non plus caractérisé l’une des deux autres causes de déchéance du principe de non-responsabilité édicté par l’article L 650-1 que sont l’immixtion caractérisée et l’obtention de garanties disproportionnées.

A noter : Issu de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, l’article L 650-1 du Code de commerce pose le principe de l’irresponsabilité du créancier dispensateur de crédit, sauf exception, lorsque le bénéficiaire du crédit fait l'objet d'une procédure collective. L’arrêt commenté s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine. La mise en cause de la responsabilité du fournisseur de crédit dans le cadre d’une procédure collective suppose la réunion de deux séries de conditions. En premier lieu, comme le prévoit l’article L 650-1, il faut établir l’existence d’un des trois cas dans lesquels l’immunité du créancier cesse : fraude, immixtion caractérisée ou disproportion des garanties. En second lieu, et c’est là une exigence supplémentaire de la Cour de cassation, il faut prouver que les crédits consentis étaient en eux-mêmes fautifs (Cass. com. 27-3-2012 n° 10-20.077 ; Cass. com. 22-3-2017 n° 15-13.290 ; Cass. com. 4-5-2017 n° 15-18.259), par exemple, parce qu’il s’agissait de crédits ruineux ou consentis à une entreprise dans une situation déjà irrémédiablement compromise.

Dans l'affaire commentée, à supposer que les circonstances relevées par la cour d’appel caractérisaient l’existence de crédits fautifs, elles n’établissaient pas que le comportement de la banque relevait d’un des trois cas de l’article L 650-1. La fraude n'est pas définie par la loi. La Cour de cassation reprend ici la définition avancée par certaines cours d'appel et qu'elle n'avait pas remise en cause (Cass. com. 2-10-2012 n° 11-23.213). Elle retient une conception restrictive de la fraude, afin de laisser à l’article L 650-1 toute la portée voulue par le législateur. En l'espèce, il n'y avait ni dissimulation ni manœuvre quelconque de la part de la banque ; l'emprunteur était au fait du montant définitif du prêt qu'il avait contracté par acte notarié. Par ailleurs, un cumul de garanties est insuffisant à établir que celles-ci sont disproportionnées au crédit consenti (Cass. com. 13-1-2015 n° 13-25.360).