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Le locataire commercial exerçant son droit de préemption peut refuser de payer les frais d'agence

Cass. 3e civ. 28-6-2018 n° 17-14.605

Le bailleur de locaux commerciaux qui envisage de les vendre doit notifier au locataire une offre de vente qui ne peut pas inclure des frais d'intermédiaire.

Lorsqu'il envisage de vendre son local commercial, le propriétaire en informe le locataire, qui bénéficie alors d'un droit d'acquisition prioritaire (C. com. art. L 145-46-1, al. 1).

Le propriétaire d'un local loué en vertu d'un bail commercial charge un agent immobilier de trouver un acheteur puis, ayant reçu une offre, il notifie à son locataire une offre de vente au prix accepté par l'acheteur potentiel, lequel comprend le montant des honoraires de l'agent immobilier. Exerçant son droit de préemption, le locataire accepte l'offre, mais hors le montant des frais d'agence.

Le propriétaire est condamné à régulariser la vente.

En application de l'article L 145-46-1, al. 1 du Code de commerce, qui est d'ordre public, le propriétaire qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au locataire une offre de vente qui ne peut pas inclure des honoraires de négociation. Le locataire ayant fait connaître au propriétaire son acceptation d'acquérir au seul prix de vente, celle-ci était parfaite.

A noter : 

Le droit de préemption du locataire commercial est assez proche des droits de préemption qui existent en matière de baux d’habitation au profit du locataire (Loi 89-462 du 6-7-1989 art. 15, II, en ce qui concerne le congé pour vendre ; Loi 75-1351 du 31-12-1975 art. 10 applicable en cas de vente consécutive à la division d’un immeuble). Pour ces baux, le bailleur ne peut pas inclure dans son offre de vente initiale les frais d'intermédiaire (Cass. 3e civ. 17-12-2008 n° 07-15.943 ; Cass. 3e civ. 3-7-2013 n° 12-19.442), l'agent immobilier n'ayant par hypothèse fourni aucune prestation d'entremise entre l'acheteur, titulaire d'un droit de préemption, et le vendeur. 

Pour la première fois, la Cour de cassation fait application de la même solution au bail commercial. Dans la mesure où le propriétaire doit informer le locataire dès qu'il « envisage » de vendre le local loué, et donc avant tout contrat avec un tiers acquéreur, le locataire est le destinataire prioritaire de l'offre et son droit s'analyse comme un droit d'acquisition prioritaire ; il ne se substitue à aucun tiers. Il n'a donc pas à supporter des frais d'agence exposés pour rechercher un acquéreur. La solution est différente s'agissant du droit de préemption de la Safer ou du preneur rural : le montant de la commission due à l'intermédiaire peut être intégré dans le prix de vente notifié au titulaire du droit de préemption (Cass. 3e civ. 26-11-1974 ; Cass. 3e civ. 24-6-2015 n° 14-18.684). Mais celui-ci bénéficie d’une véritable faculté de substitution.

Le propriétaire prétendait en l'espèce avoir agi dans le cadre du droit de préemption subsidiaire prévu par l'article L 145-46-1, al. 3 du Code de commerce, qui impose au propriétaire de notifier une deuxième offre de vente au locataire dans l'hypothèse où celui-ci n'a pas accepté l'offre de vente initiale, et où le propriétaire a finalement décidé de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur. Selon le propriétaire, cette nouvelle offre pouvait inclure des frais d'agence. A notre connaissance, la Cour de cassation ne s'est jamais prononcée sur cette question en matière de baux commerciaux. Une cour d'appel a tranché en faveur de l'inclusion des frais d'agence dans le prix de vente en cas d'exercice du droit de préemption subsidiaire par le locataire de locaux d’habitation (CA Aix-en-Provence 4-2-2014 n° 13/06869). 

La Cour de cassation ne répond pas à la question, qui ne se posait pas en l'espèce. La thèse du bailleur aurait en effet conduit à escamoter la première étape du dispositif légal, à savoir la notification de l'offre de vente dès le stade où la vente est envisagée, ce qu'il n'avait ici pas fait. Or, précise la Haute Juridiction, l'article L 145-46-1, al. 1 est d'ordre public, de sorte que, même si la loi ne prévoit pas de sanction à l'absence d'offre au premier stade, cette obligation ne peut pas être éludée. 

Soulignons enfin à l’intention des rédacteurs d’acte que, en déclarant cet article d'ordre public, la décision commentée voue à la nullité toutes les clauses des contrats de baux commerciaux écartant ou aménageant le droit de préemption du locataire.