Un distributeur condamné pour déséquilibre significatif avec ses fournisseurs
CA Paris 25 novembre 2015 n° 12/14513, ch. 5-4
Les clauses de protection des stocks et de mévente des produits figurant dans la convention annuelle entre un distributeur d’appareils électroménagers et ses fournisseurs peuvent être constitutives d’un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur.
1. A la suite d’une action du ministre de l’économie, la cour d’appel de Paris a jugé qu’un distributeur de produits audiovisuels, électroniques et électroménagers avait inséré dans la convention annuelleconclue avec des fournisseurs deux clauses constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (C. com. art. L 442-6, I-2°).
Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
Clauses examinées
2.Clause de protection des stocks. Cette clause prévoyait qu’en cas de baisse du prix d’un produit, le fournisseur pouvait ou devait, selon les cas, accorder au distributeur un avoir correspondant à l’écart entre le précédent et le nouveau prix, multiplié par le nombre de produits en stock.
3. L’application de l’article L 442-6, I-2° exige une soumission ou une tentative de soumission à un déséquilibre significatif.
La cour d’appel de Paris a rappelé que cette soumission résulte de l’insertion de clauses déséquilibrées dans les contrats conclus entre des parties dont la puissance n’est pas la même, selon des modalités traduisant l’absence de marge de négociation pour l'une d'elles.
En l'espèce, le distributeur était leader sur son marché et disposait d’une puissance de négociation incontestable.
La clause de protection des stocks, dont la rédaction était variable suivant les fournisseurs, prévoyait, dans la plupart des cas, la nécessité d’un accord entre les parties portant sur les produits visés et les modalités d’application de la clause. Cet accord pouvait prendre la forme d’échanges de correspondances.
La cour d’appel a constaté que rien ne prouvait l’existence de tels échanges mais que la preuve de la soumission des fournisseurs résultait des éléments suivants : la clause était rédigée de manière uniforme dans les contrats, elle était générale et imprécise (pas de définition des produits concernés ni de limitation dans le temps, aucun formalisme prévu) ; aucun accord sur les modalités d’application de la clause n’avait été conclu ; l’absence d’échanges de correspondances matérialisant les accords n’avait pas empêché le jeu de la clause.
4. La cour d’appel a considéré qu’une obligation avait été mise à la charge des fournisseurs et ce, alors même que, pour certains d’entre eux, la clause était rédigée sous une forme alternative, l’avoir étant soit imposé au fournisseur, soit subordonné à l’accord des parties. En effet, la première branche de l’alternative générait une véritable obligation et la seconde revenait à l’imposer puisque le fournisseur n’avait aucune marge de négociation.
5.Clause de « mévente des produits » ou « produits obsolètes ». Cette clause prévoyait que, en cas d’obsolescence, d’arrêt de fabrication ou de mévente d’un produit, le fournisseur pouvait établir, à son initiative, un avoir au bénéfice du distributeur correspondant à l’écart entre le prix d’achat réglé par le distributeur et le prix conforme à la situation nouvelle du produit sur le marché, multiplié par le nombre de produits en stock.
6. La cour a constaté qu’en dépit de l’utilisation du verbe « pouvoir » et du mot « initiative » aucune véritable discussion n’avait porté sur l'insertion de cette clause dans la convention puisqu’elle se trouvait dans tous les contrats, avec une rédaction identique, alors que, de surcroît, l'obsolescence n'est pas un élément déterminant pour la vente de produits électroménagers et, dans une moindre mesure, pour les produits audiovisuels. Enfin, l'absence manifeste d'intérêt pour le fournisseur à l'insertion d'une telle clause démontrait qu'une telle clause lui avait été imposée.
Cette clause créait une obligation pour le fournisseur.
Déséquilibre engendré par ces clauses
7. La cour d’appel a considéré que ces clauses créaient un déséquilibre au détriment du fournisseur sans que ce déséquilibre soit compensé par des clauses qui soient favorables à ce dernier.
En effet, elles faisaient supporter l'intégralité de la charge du risque commercial (diminution de prix, mévente) sur le fournisseur alors que le distributeur est maître de sa politique commerciale (promotions, mises en avant du produit). En outre, d’autres clauses excluaient tout engagement du distributeur sur des volumes d’achat ou prévoyaient des ristournes en cas d’un tel engagement. Enfin, a ajouté la cour, à supposer que la clause « produits obsolètes » se justifiait pour la vente des produits électroniques, elle se comprenait difficilement pour la vente des produits électroménagers dont l’obsolescence est moins évidente.
Sanctions
8. La cour d’appel a condamné le distributeur à une amende civile de 300 000 €, prononcé la nullité desclauses litigieuses, interdit leur insertion dans les contrats à venir, et ordonné la restitution aux fournisseurs des sommes indûment perçues (575 000 €).