Actualités

Effets de l’annulation d’une cession de parts sur les décisions collectives et les dividendes

CA Paris 5 janvier 2016 n°14/21649, ch. 5-8

L’associé réintégré dans une société après l’annulation de la cession de ses parts ne peut pas prétendre obtenir l’annulation automatique de toutes les assemblées irrégulièrement convoquées depuis la cession ou percevoir un dividende adossé à son ancien niveau de participation.

1. Un associé d’une SARL avait cédé les cent parts qu’il possédait et qui représentaient 3,3 % du capital. Il avait obtenu en justice 27 ans plus tard l’annulation de la cession des parts et sa réintégrationcomme associé. Une assemblée de la SARL l’avait alors rétabli dans ses droits d’associé à hauteur des cent parts vendues (représentant désormais moins d’un cent millième des parts sociales).

Espérant obtenir sa réintégration à hauteur de 3,3 % du capital ainsi que les dividendes attachés à cette fraction, l’associé avait à nouveau saisi la justice pour demander l’annulation de l’ensemble des décisions prises par la SARL depuis la cession annulée. Il faisait valoir qu’il n’avait pas été convoqué aux assemblées générales et qu’il n’avait pas pu participer aux augmentations de capital successives, ce qui avait entraîné une forte dilution de sa participation au capital.

Saisie du litige, la cour d’appel a apporté d’intéressantes précisions sur les conséquences de la réintégration rétroactive du cédant qu’entraîne l’annulation d’une cession de droits sociaux (CA Paris 5 janvier 2016 n° 14/21649, ch. 5-8).

Annulation des décisions collectives postérieures à la cession

2. L'action en nullité des actes ou délibérations postérieurs à la constitution d’une société est prescriteà l'expiration d'un délai de trois ans à compter du jour où la nullité est encourue (C. com. art. L 235-9, al. 1).

La cour d’appel de Paris a jugé que la demande d’annulation d’une décision sociale doit émaner d’un associé ayant cette qualité au jour de la demande. Elle en a déduit que le délai de prescription n’avaitcommencé à courir, pour les assemblées générales tenues après la cession et avant la réintégration de l’associé, qu’à compter du jugement annulant la cession. Pour les assemblées ultérieures, ce délai avait commencé à courir à la date de chacune de ces assemblées. 
En l’espèce, aucune prescription n’était encore acquise.

3. Le point de départ du délai ne coïncide pas nécessairement avec la date de l'assemblée contestée (par exemple, en cas de nullité pour vice du consentement, la prescription ne commence à courir, dans le cas d'erreur ou de dol, que du jour où le vice a été découvert et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé). La décision de la cour d’appel de reporter le délai de prescription à la date de la réintégration du cédant dans sa qualité d’associé au motif qu’il avait été empêché d’agir en nullité pendant 27 ans mérite d’être confirmée.

4. La cour d’appel a néanmoins rejeté les demandes d’annulation des assemblées tenues depuis la cession en se fondant sur l’argumentation suivante. L’article L 223-27 du Code de commerce exclut toute nullité automatique des assemblées irrégulièrement convoquées et confère au juge un pouvoir d’appréciation en fonction de l’atteinte à l’intérêt social. Or, l’associé n’établissait pas que les décisions votées entre la date de la cession et son annulation étaient contraires à l’intérêt social, alors que la SARL s’était développée, avec un résultat supérieur à 12 millions d’euros en 2013 ; il ne justifiait d’aucun motif d’annulation des deux assemblées tenues après sa réintégration, auxquelles il avait été régulièrement convoqué.

La cour d’appel a ajouté que la dilution importante subie par l’associé du fait des augmentations de capital successives intervenues alors qu’il était privé de ses droits d’associé ne lui permettait pas d’être réintégré dans une fraction du capital égale à celle de ses parts à la date de la cession, l’annulation de la vente ayant seulement fait naître une créance de restitution de l’objet de la cession, soit des 100 parts cédées.

5. Il ne fait pas de doute que l’associé réintégré à la suite de l’annulation de la cession de ses parts peut agir en nullité des assemblées qui se sont tenues entre la cession et sa réintégration en invoquant le fait qu’il n’a pas été convoqué et que les assemblées sont donc irrégulières. La Cour de cassation a d’ailleurs admis qu’un autre associé peut se prévaloir dans un tel cas de l’absence de convocation (Cass. 3e civ. 21-10-1998 n° 96-16.537). Cette faculté peut avoir des conséquences redoutables pour la société. En l’espèce, ce sont les décisions collectives sur une période de près de trente ans qui étaient remises en cause ! Mais cette nullité n’est qu’une simple faculté pour les juges du fond (C. com. art. L 223-27, dernier al.), dont l'opportunité relève de leur appréciation souveraine (Cass. com. 5-12-2000 n° 98-13.904). Au cas particulier, la cour d’appel a limité les effets du report du point de départ de la prescription et les risques de nullités « en cascade » en maintenant la validité des délibérations prises par les assemblées et en faisant primer l'intérêt social sur l'intérêt individuel du demandeur.

6. Soulignons par ailleurs que l’annulation d'une cession de parts n’emporte qu’une obligation de restitution du prix et des droits sociaux en nature ou en valeur à la charge du cédant et de l’acquéreur.

Droit aux dividendes de l’associé réintégré

7. Dans l’affaire commentée, l’associé réclamait à la société les dividendes correspondant à 3,3 % du capital social, soit une provision de 2 millions d’euros.

La cour d’appel a refusé. L’annulation n’ayant eu pour effet que de lui restituer les 100 parts qu’il avait vendues et non une fraction de participation, ses droits à dividendes s’élevaient à 23 000 € sur la base de 100 parts.

La cour d’appel de Paris a toutefois estimé que la dilution importante de la participation de l’associé résultant de son impossibilité à participer aux augmentations de capital postérieures à la cession caractérisait une perte de chance de percevoir des dividendes se rapportant à une participation plus élevée. Cette perte de chance était marginale et a été évaluée à 30 000 €. En effet, l’associé ne produisait pas d’éléments justifiant de son implication dans la SARL ou de sa capacité financière à souscrire aux augmentations de capital, sachant qu’il s’était abstenu de participer à une augmentation de capitale modeste avant la cession.

8. En cas d’annulation (ou de résolution) d’une cession de droits sociaux, le cédant réclame généralement à l’acquéreur la restitution des dividendes versés après la cession. En l’espèce, le cédant a choisi de poursuivre la société. Celle-ci avait valablement pu distribuer des dividendes à l’acquéreur avant l’annulation de la cession. Elle pourra agir en répétition de l’indu contre ce dernier.

Rappelons en outre que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (Cass. 1e civ. 9-4-2002 n° 00-13.314 ; Cass. com. 13-9-2011 n° 10-20.644).