L’erreur comptable volontaire d'un salarié n’empêche pas la société de réclamer la réduction d’un surcoût d’impôt acquitté
CE 9-3-2016 n° 380808
L’irrégularité comptable délibérée commise par un salarié ne constitue pas pour autant une erreur comptable volontaire de la part de la société qui l'emploie.
Les manipulations comptables d'un salarié qui outrepasse ses fonctions peuvent être rectifiées...
La possibilité pour un contribuable d'obtenir la réduction d'un surcroît d'impôt acquitté du fait d'une erreur comptable qu'il a commise repose sur la distinction entre :
- les erreurs comptables volontaires, assimilables à des décisions de gestion irrégulières, qui sont opposables au contribuable et ne peuvent être rectifiées que par l'administration dans le délai de reprise ;
- les erreurs comptables involontaires, qui sont rectifiables à la demande du contribuable dans le délai de réclamation ou par l'administration dans le délai de reprise.
La qualification de l'erreur comporte une difficulté particulière dans l'hypothèse d'une irrégularité comptable volontairement commise par un salarié qui a outrepassé l'exercice normal de ses fonctions.
Par une décision inédite, le Conseil d’Etat vient d'admettre la possibilité de réclamer pour une société dont le résultat a été artificiellement majoré par des produits fictifs, comptabilisés par son directeur administratif et financier en dehors de l’exercice normal de ses fonctions, dans le but d'améliorer son propre salaire et ses bonus annuels.
... même en cas de carence du contrôle interne
Pour son appréciation du caractère délibéré ou non de l'erreur comptable en cause, le Conseil d'Etat juge indifférentes l'existence de carences dans l'organisation et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle de la société.
La Haute Juridiction censure ainsi la décision de la cour administrative d'appel de Lyon qui avait, quant à elle, considéré que les manipulations comptables irrégulières, qui avaient eu pour objet de majorer le résultat de la société, constituaient une erreur comptable délibérée commise par le directeur administratif et financier au nom de la société, cette dernière ayant été suffisamment alertée sur le caractère irrégulier de ces manipulations comptables qui avaient perduré dans le temps (CAA Lyon 20-3-2014 n° 12LY02422).
En l'espèce, les carences du contrôle interne étaient manifestes puisque:
- le commissaire aux comptes avait mis en évidence dès l'année 2000 le montant significatif de factures clients datant de plus d'un an;
- les investigations menées avaient démontré que les clients avaient pour la plupart réglé leur dette et qu'une personne avait délibérément passé en comptabilité une OD (opération diverse) qu'il n'y avait pas lieu d'effectuer ;
- les investigations menées pour analyser les comptes clients et les procédures engagées pour contrôler la balance des comptes clients avaient ensuite été interrompues sans raison affichée ;
- les mêmes irrégularités s'étaient poursuivies de 2005 à 2009 ;
- en 2008, la nouvelle comptable avait détecté des anomalies comptables et alerté sur une augmentation des comptes clients ;
- en mars 2009, un rapport d'audit avait constaté l'existence de deux versions différentes de la balance clients au 31 décembre 2006, affichant des solde de factures clients de montants très différents.
Rappelons que la notion de carence manifeste du contrôle interne fait partie des critères utilisés par la jurisprudence en matière d'acte anormal de gestion pour refuser la déductibilité de pertes engendrées par un détournement de fonds commis par un salarié (CE 5-10-2007 n° 291049). Mais il ressort d'un avis du Conseil d'Etat que ce courant de jurisprudence n'a pas vocation à être étendu à d'autres cas (Avis CE sect. des finances 24-5-2011 n° 385088). La présente décision confirme que ce critère n'a pas non plus la vocation à être utilisé pour interdire la rectification d'une erreur comptable.
A notre avis : Par la présente décision, le Conseil d'Etat réserve, à notre avis, la qualification d'erreur comptable délibérée aux décisions volontairement prises par la société ou par ses dirigeants. Les faits commis par les salariés qui outrepassent l'exercice normal de leurs fonctions devraient ainsi conserver, du point de vue de la société, la qualification d'erreurs comptables involontaires, y compris en cas de défaillance du contrôle interne. Ajoutons qu'en l'espèce, la société avait déposé une plainte contre X après avoir suspendu de ses fonctions puis licencié pour faute grave le salarié concerné.