Violation d'un droit conventionnel de préemption sur des titres : indemnisation du bénéficiaire en cas d’impossibilité d’exécution forcée
Cass. com. 20-9-2016 n° 15-10.963
Lorsque, malgré l’exercice d’un droit de préemption conventionnel sur des droits sociaux, celui qui a consenti ce droit vend les titres à un tiers, le bénéficiaire a droit à des dommages-intérêts si l’exécution de la cession à son profit ne peut plus être ordonnée.
Les associés de trois sociétés exploitant des magasins de bricolage sous contrat de franchise avaient consenti au franchiseur un droit de préemption en cas de cession à un tiers de leurs titres. Informé par les associés de leur volonté de céder leur participation, le franchiseur avait exercé son droit de préemption mais les intéressés avaient cédé leurs titres à une société tierce. Cette dernière ainsi que les sociétés franchisées avaient été absorbées par une société concurrente du franchiseur. N’ayant pas pu être substitué au cessionnaire compte tenu de l’absorption, le franchiseur avait demandé des dommages-intérêts aux associés ainsi qu’à la société absorbante.
Ceux-ci ont été condamnés in solidum à lui verser environ cinq millions d’euros d’indemnisation à un double titre :
- perte de la chance de tirer profit des titres acquis et de se développer ; en effet, le préjudice subi par le franchiseur ne s’analysait pas en la simple perte d’une chance de contracter puisque, aux termes d’un arrêt devenu définitif, sa préemption était valide et définitive ; le franchiseur aurait dû devenir « titulaire » des actifs du groupe constitué par les trois sociétés qui, exploitant trois magasins, possédaient une valeur remarquable en termes économiques, financiers, fonciers et concurrentiels ;
- préjudice propre de concurrence déloyale, lié à la perte de représentation de l’enseigne, de l’image et à la dévalorisation de la marque ; l’acquisition des titres par un tiers avait privé le franchiseur de toute présence de sa marque sur les secteurs géographiques concernés ; la société concurrente avait elle-même admis avoir eu un intérêt stratégique à l’achat d’un magasin exploité à Nogent, qui lui permettait d’acquérir une position très favorable dans ce secteur, ainsi qu’à celui de biens immobiliers à Champigny et Epinay.
A noter : Rendue sous l'empire des dispositions du Code civil antérieures à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, la décision est transposable aux textes issus de cette ordonnance, applicables aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.Lorsqu’un contrat a été conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire du pacte peut demander l’annulation du contrat ou à être substitué au tiers dans ce contrat mais seulement si le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (C. civ. art. 1123 nouveau, al. 2 ; auparavant, Cass. ch. mixte 26-5-2006 n° 03-19.376 ). A défaut, il ne peut obtenir qu’une indemnisation (Cass. 3e civ. 31-1-2007 n° 05-21.071).
Mais l’hypothèse de l’espèce ne relevait pas de ces principes : le franchiseur avait exercé son droit de préemption dans les conditions convenues et la cession s’était formée à son profit avant que les associés ne cèdent leurs titres à un tiers. Toutefois, les titres ayant disparu à la suite de l’absorption des sociétés (Cass. com. 26-5-2009 n° 08-12.691 FS-PB, chron. R. Salomon p. 648), le franchiseur ne pouvait pas demander l’exécution forcée de la première cession (C. civ. art. 1221 nouveau ; auparavant, ex-art. 1184, al. 2). Ne lui restait donc que la possibilité de demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi.