Caractérisation d'une donation déguisée et d'un recel successoral
Cass. 1e civ. 1-2-2017 n° 16-14.323
Le financement par un époux, sans contrepartie pour lui, d'un bien acquis au nom de son conjoint caractérise une donation déguisée. La dissimulation, par la veuve, de cette donation aux autres héritiers de son mari constitue un recel.
Une femme mariée sous le régime de la séparation de biens procède à l’achat d’un appartement. Elle déclare le financer au moyen de fonds propres et d’un emprunt à son nom. Au décès du mari, un enfant issu d’une précédente union du défunt soutient que l’achat immobilier a en réalité été financé par son défunt père. Il demande que soit constatée l’existence d’une donation dissimulée et d’un recel successoral. Il obtient gain de cause.
Les juges du fond caractérisent la donation déguisée à partir des éléments suivants :
- l’apport comptant correspondait au produit de la vente de deux biens appartenant au défunt ;
- l’emprunt souscrit ne pouvait, compte tenu du montant des mensualités et des revenus de l’épouse, être remboursé que conjointement par les époux ;
- le défunt a déclaré, à l’occasion d’une procédure relative à la prestation compensatoire qu’il devait à sa première épouse, qu’il avait financé l’achat de l’appartement en question ;
- la veuve ne justifie pas de l’origine des fonds investis.
A partir de ces présomptions, ils en déduisent que le défunt a financé l’achat du bien à hauteur de 66 %, ce qui constitue une donation déguisée.
La Cour de cassation confirme. Les juges du fond ont, sans inverser la charge de la preuve, souverainement déduit de ces présomptions que le mari a financé en partie l’achat du bien litigieux. En outre, ils ont caractérisé l’intention du mari de s’appauvrir au profit de son épouse, dans le but de la gratifier – et ainsi l’existence d’une donation déguisée – en relevant que ce financement, dissimulé par l’épouse, avait enrichi le patrimoine de cette dernière au détriment de celui de son mari, sans contrepartie pour ce dernier.
S’agissant du recel successoral, la cour d’appel retient son existence. Elle relève que le conjoint survivant :
- a indiqué de façon mensongère, dans l’acte de vente, que l’apport provenait de ses fonds personnels ;
- n’a pas déclaré la donation au notaire chargé de la succession ;
- a renoncé rapidement à la succession de façon à favoriser sa clôture ;
- a occulté la donation en ne répondant pas au courrier d’un de ses cohéritiers sur le sujet.
Sans surprise, la Cour de cassation partage cette analyse. L’existence d’une manœuvre dolosive commise par l’épouse dans l’intention de rompre l’égalité du partage au détriment des cohéritiers est caractérisée et cette manœuvre a pu être effectuée avant même l’ouverture de la succession.
Remarque
La donation déguisée repose, on le sait, sur une simulation, autrement dit sur la création volontaire d’une apparence trompeuse : la libéralité est masquée par un acte à titre onéreux, telle une vente, comme c’était le cas dans l’affaire commentée.
Une fois le déguisement prouvé, encore faut-il démontrer qu’il y a donation, c’est-à-dire appauvrissement du donateur et son intention libérale. L’existence du premier élément ne suffit pas à établir le second. En l’espèce, les deux ont été caractérisés.
Les tiers (en l’espèce les cohéritiers) qui invoquent l’existence d’une donation déguisée peuvent la prouver par tous moyens et notamment avec des présomptions graves précises et concordantes. Relever que l’épouse ne justifiait pas de l’origine des fonds investis n’est pas un renversement de la charge de la preuve dans la mesure où le financement par le mari était établi par d’autres éléments.
Quant au recel successoral, l’existence d’une donation déguisée ne suffit pas à le constituer (Cass. 1e civ. 12-12-2006 n° 05-18.573). Il faut, pour cela, que son auteur commette des manœuvres dolosives, dans une intention frauduleuse. En l’espèce, il est constaté que la donataire a dissimulé sciemment la libéralité reçue dans le but de rompre l’égalité du partage. Les Hauts Magistrats précisent ici que les manœuvres dolosives peuvent se manifester avant même l’ouverture de la succession, en l’espèce, dès l’acte de vente.
Rappelons enfin qu’en cas de recel successoral, la sanction principale, s’agissant d’une donation rapportable ou présumée rapportable, est le rapport de cette donation sans que le receleur puisse prétendre y avoir aucune part (C. civ. art. 778 ; pour une illustration voir Cass. 1e civ. 14-4-2010 n° 09-65.903).