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Abattement dirigeant : la mise en location-gérance du fonds n'exclut pas son application

CE 9e-10e ch. 10-5-2017 n° 395897

Le Conseil d’Etat juge que la plus-value de cession de titres d’une société propriétaire d’un fonds de commerce qu'elle met en location-gérance après l'avoir exploité peut bénéficier de l’abattement dirigeant.

1. Par une décision inédite, le Conseil d’Etat précise la nature de l’activité que doit exercer une société pour que la plus-value de cession réalisée par le dirigeant au moment de son départ à la retraite puisse bénéficier de l’abattement pour durée de détention.

Il juge pour l’application de cet abattement :

  • d’une part que la société propriétaire d’un fonds de commerce, qui après l’avoir exploité directement, le donne en location-gérance, doit être regardée, compte tenu de la nature de ce contrat, comme poursuivant selon des modalités différentes, son activité antérieure ;
  • d’autre part que l’exclusion prévue pour les sociétés gérant leur propre patrimoine mobilier ou immobilier ne concerne que les sociétés exerçant une activité financière et dont l’activité principale consiste à gérer leur propre patrimoine.

2. Les gains réalisés jusqu’en 2013 bénéficiaient, sous les mêmes conditions,  d’un abattement d’un tiers par année de détention au-delà de la cinquième et étaient, par suite totalement exonérés lorsque les titres étaient détenus depuis plus de huit ans (CGI ancien art. 150-0 D bis).

On rappelle que les plus-values réalisées par les dirigeants de PME qui cèdent leur société à l’occasion de leur départ en retraite sont réduites, sous certaines conditions, d’un abattement fixe, et pour le surplus éventuel,  d’un abattement renforcé égal à 50%, 65% ou 85% selon la durée de détention des titres (CGI art. 150-0 D ter).

Le bénéfice du régime de faveur est réservé aux titres de sociétés ayant exercé, pendant les cinq années précédant la cession, une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. C’est de cette condition dont il était en question dans la présente affaire.

3. En l’espèce, la société exerçait une activité commerciale depuis sa création puis, en vue de préparer le départ à la retraite de son président, avait mis son fonds en location-gérance. Le dirigeant avait cessé ses fonctions puis cédé ses titres trois années plus tard. Dans sa déclaration de revenus, l’intéressé avait appliqué l’abattement pour durée de détention à la plus-value dégagée à cette occasion.

L’administration avait remis en cause l’application de cet abattement au motif que la société n’exerçait plus d’activité commerciale depuis qu’elle avait mis son fonds en location-gérance mais une activité de gestion de patrimoine exclue du dispositif.

La société qui met en location-gérance son fonds après l’avoir exploité poursuit son activité

4. Pour l’appréciation de la condition tenant à la nature de l’activité exercée à laquelle est subordonnée l’abattement dirigeant, le présent arrêt conduit à réputer transparente l’opération de mise en location-gérance du fonds par la société propriétaire.

La société qui après avoir exploité le fonds en direct le donne en location-gérance est réputée poursuivre sous une forme différente l’activité antérieure. Il y a donc identité d’activité avant et après la mise en location du fonds et non exercice d’une activité nouvelle. Seules les modalités d’exercice de l’activité diffèrent.

En l’espèce la société avait exercé une activité commerciale depuis sa création en 1938. Elle remplissait donc la condition tenant à la nature de l’activité exercée pendant les cinq années précédant la cession, la mise en location-gérance du fonds pendant cette période demeurant à cet égard sans incidence.

A noter : Le Conseil d’Etat transpose aux plus-values de cession de valeurs mobilières la solution retenue en matière de BIC et de CET (voir notamment CE plén. 9-3-2016 n°374893 : FR15/16 inf. 4 p.6).

5. La solution est bien évidemment subordonnée à une condition d’exploitation préalable du fonds par la société. Dans le cas contraire, il ne pourrait pas y avoir poursuite d’une activité antérieure.

Elle est par ailleurs propre au contrat de location-gérance, eu égard à sa nature.

L’exclusion des sociétés gérant leur propre patrimoine est limitée aux sociétés financières

6. Le Conseil d’Etat précise par ailleurs que l’exclusion  prévue pour les sociétés gérant leur propre patrimoine mobilier ou immobilier ne concerne que les sociétés exerçant une activité financière et dont l’activité principale consiste à gérer leur propre patrimoine.

En l’espèce, la société avait perçu au cours de la période de mise en location-gérance du fonds, outre le loyer annuel versé par la société locataire du fonds, des produits financiers provenant de valeurs mobilières de placement figurant à l’actif de son bilan.

La cour administrative d’appel en avait déduit que cette activité de placement avait pour effet d’exclure le cédant du bénéficie de l’abattement, la société exerçant une activité de gestion de son propre patrimoine mobilier et ne remplissant pas par suite la condition tenant à la nature de l’activité exercée.

Cette décision est annulée pour erreur de droit.

7. La Haute assemblée interprète les termes du texte légal à la lumière des travaux parlementaires ayant précédé le vote de la loi de finances rectificative pour 2005 dont est issu le dispositif de faveur.

Dans ses conclusions, le rapporteur public, Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rappelle que c’est un amendement voté par le Sénat qui a ajouté les activités financières et immobilières à la liste initiale en introduisant simultanément la réserve tenant à la gestion par la société de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. Il s’agissait d’après le rapport parlementaire d’élargir le dispositif de faveur aux titres des entreprises immobilières et financières autres que celles dont l’activité principale réside dans la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier. L’activité immobilière a finalement disparu de sorte que l’exception relative à la gestion par la société de son propre patrimoine mobilier ou immobilier ne s’applique qu’aux sociétés ayant une activité financière.

A noter : Il en résulte que les sociétés ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole entrent dans le champ d’application de l’abattement sans condition tenant à la gestion de leur patrimoine mobilier ou immobilier.

A noter : La censure du Conseil d’Etat est d’un point de vue économique la bienvenue. En effet, la décision de la cour administrative d’appel conduisait à exclure du bénéfice de l’abattement les sociétés commerciales, artisanales, industrielles, libérales ou agricoles tirant des recettes accessoires de leur trésorerie. Rendue pour l’application de l’abattement d’un tiers en vigueur jusqu’en 2013, la solution est transposable pour l’application du régime actuel