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Contrats interdépendants : effets de la résiliation fautive de l’un d’eux sur les autres

Cass. com. 12-7-2017 n°15-27.703

Cass. com. 12-7-2017 n° 15-23.552

La résiliation de l'un quelconque des contrats interdépendants entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l'origine de l'anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute.

1. Les contrats concomitants ou successifs conclus avec des partenaires différents qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants (jurisprudence bien établie depuis Cass. ch. mixte 17-5-2013 n° 11-22.768 et n° 11-22.927).

Il résulte de cette interdépendance que l’anéantissement de l’un des contrats entraîne la caducité de l’autre (Cass. 1e civ. 4-4-2006 n° 02-18.277 ; Cass. com. 26-3-2013 n° 12-11.688 ; Cass. com. 4-11-2014 n° 13-24.270).

Par deux arrêts du même jour, destinés à une large diffusion, la chambre commerciale de la Cour de cassation a tiré de nouvelles conséquences de cette jurisprudence en posant le principe suivant : lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, de sorte que la clause prévoyant une indemnité de résiliation dans le contrat caduc ne peut pas s’appliquer. Mais la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel peut être condamnée à indemniser le préjudice causé par sa faute.

Présentation des deux arrêts

2. Dans la première espèce (Cass. com. 12-7-2017 n° 15-27.703), une société civile professionnelle (SCP) de notaires conclut avec un prestataire un contrat de fourniture et d’entretien de photocopieurs pour une durée de soixante mois et, le même jour, elle souscrit avec une banque un contrat de location financière de ces matériels. Après avoir résilié ce dernier contrat, la SCP informe le prestataire de sa décision de résilier également le contrat de prestations de services. Le prestataire lui demande alors le paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation anticipée. La SCP s’y oppose invoquant la caducité du contrat de prestations de services, en conséquence de la résiliation du contrat de location financière.

Une cour d’appel condamne la SCP à payer cette indemnité en retenant que les deux conventions, qui avaient une existence propre et étaient susceptibles d’exécution indépendamment l’une de l’autre, ne peuvent pas être considérées comme s’inscrivant dans une opération unique au sein de laquelle l’anéantissement de l’un des contrats aurait eu pour effet de priver l’autre de cause.

La Cour de cassation a censuré cette décision : les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants. 

Dès lors que la SCP avait conclu, le même jour, un contrat de prestation de services portant sur des photocopieurs avec un prestataire et, par l’intermédiaire de cette dernière, un contrat de location financière correspondant à ces matériels avec la banque, ces contrats, concomitants et s’inscrivant dans une opération incluant une location financière, étaient interdépendants, et la résiliation de l’un avait entraîné la caducité de l’autre, excluant ainsi l’application de la clause du contrat caduc stipulant une indemnité de résiliation.

3. Dans la seconde affaire (Cass. com. 12-7-2017 n° 15-23.552), une entreprise conclut un contrat de prestation de surveillance électronique avec une société qui fournit et installe le matériel nécessaire, d’une durée de quarante-huit mois renouvelable et dix jours plus tard elle souscrit un contrat de location portant sur ce matériel auprès d’une société de location financière d’une durée identique, moyennant le paiement d’une redevance mensuelle. Avant l’échéance du terme des contrats, l’entreprise obtient, en accord avec la société de location financière, la résiliation du contrat de location, en s’engageant à payer les échéances à échoir ; de son côté, le prestataire de services demande à l’entreprise le paiement de l’indemnité de résiliation anticipée prévue au contrat.

Une cour d’appel condamne l’entreprise au paiement de l’indemnité en retenant que, s’agissant d’un contrat conclu pour une durée fixe et irrévocable, une telle résiliation est contraire à la loi convenue entre les parties.

L’arrêt est lui aussi censuré par la Haute Juridiction : dès lors que les contrats litigieux s’inscrivaient dans un même ensemble contractuel et étaient interdépendants, et que le contrat de location financière avait été résilié avant le terme initial, cette résiliation avait entraîné la caducité, par voie de conséquence, du contrat de prestation de services.

Nos observations

4. L’originalité de ces deux espèces tient à ce que le contrat de location financière a été le premier résilié d’un commun accord entre les parties et que cette résiliation a entraîné la caducité du contrat de prestation de services, alors que le plus souvent c’est la situation inverse qui se présente (résiliation de la prestation de services, pour inexécution notamment, entraînant la caducité de la location financière).

Cela n’empêche pas, juge la Cour de cassation, que la caducité joue. Celle-ci peut jouer dans les deux sens. L’interdépendance diffère de la théorie de l’accessoire et du principal : aucun des contrats interdépendants n’est l’accessoire de l’autre. La caducité est une sanction automatique : le juge doit l’appliquer sans se référer au comportement des parties.

5. Autre question nouvelle posée par ces deux affaires : peut-on admettre la caducité lorsque c’est le client qui a résilié l’un des contrats interdépendants, alors même que cette résiliation n’est pas justifiée ?

La Cour suprême répond par l’affirmative, mais elle tempère la sévérité de la solution pour celui des cocontractants victime de la caducité.

La solution est sévère parce que, énonce pour la première fois à notre connaissance la Cour suprême, de façon très explicite dans la première espèce et de manière implicite dans la seconde, la clause prévoyant une indemnité de résiliation dans le contrat de prestation de services devenu caduc ne peut pas s’appliquer. A notre avis, de façon symétrique, toute clause similaire d’un contrat de location financière devenu caduc du fait de l’anéantissement du contrat de prestation de services sera également inapplicable. Mais il existe un tempérament : rien n’empêche la partie autre que celle qui est à l’origine de l’extinction simultanée des contrats de rechercher la responsabilité de son cocontractant  dont la faute est à l’origine de l’anéantissement de l’ensemble contractuel afin d’être indemnisé du préjudice que lui cause la caducité (déjà en ce sens Cass. com. 26-3- 2013 n° 12-11.688). L’indemnisation ne sera pas celle envisagée par le contrat et les dommages-intérêts seront alors évalués par le juge.

6. La solution fondée sur l’ancien article 1134 du Code civil est transposable au nouveau régime issu de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, les effets de la caducité n'étant pas envisagés : aux termes du nouvel article 1186, al. 2 du Code civil, lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie. La caducité de l’autre contrat n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu'il a donné son consentement (art. 1186, al. 3).