L’octroi unilatéral de sa rémunération par un dirigeant est-il toujours un abus de biens sociaux ?
L’octroi unilatéral de sa rémunération par un dirigeant n’est répréhensible que s’il est contraire à l’intérêt social. La jurisprudence en la matière n’étant pas uniforme, cette pratique est risquée...
1. Comment analyser la pratique consistant, pour un dirigeant de société, à s’octroyer de manière unilatérale une rémunération, en l’absence de toute autorisation des associés, au regard de l’incrimination d’abus de biens sociaux ?
Le délit d’abus de biens sociaux est-il automatiquement constitué dans une telle situation ou, au contraire, les solutions diffèrent-elles selon les circonstances de chaque espèce ?
2. Avant d’examiner la problématique de l’abus de biens sociaux en tant que telle, rappelons brièvement les règles de détermination de la rémunération du dirigeant dans les principaux types de société commerciale :
- dans une SARL, la rémunération du gérant est déterminée soit par les statuts soit par une décision collective des associés ;
- dans une société anonyme (SA), la rémunération du directeur général est fixée par le conseil d’administration ;
- dans une société par actions simplifiée (SAS), la rémunération du président est fixée selon les modalités prévues par les statuts.
Le fait pour un dirigeant de décider seul du versement de sa rémunération est donc une irrégularité avant même de constituer éventuellement un abus de biens sociaux.
3. L’abus de biens sociaux est un délit complexe, qui comporte plusieurs éléments constitutifs, parmi lesquels la contrariété à l’intérêt social est difficile à apprécier de manière objective.
La définition de l’abus de biens sociaux est la suivante : il consiste pour les dirigeants, de mauvaise foi, à faire des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils savent contraires à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement (C. com. art. L 241-3, 4° pour les SARL ; art. L 242-6, 3° pour les SA et, sur renvoi de l’art. L 244-1, pour les SAS).
4. Lorsqu’un dirigeant s’octroie de son propre chef une rémunération, les principales questions qui se posent afin de déterminer s’il a commis un abus de biens sociaux sont les suivantes :
- a-t-il agi de mauvaise foi ?
- est-ce contraire à l’intérêt de la société ?
La contrariété à l’intérêt social
5. L’analyse des quelques décisions des juges en la matière ne permet pas de dégager une solution tranchée : certaines considèrent qu’il s’agit toujours d’un abus de biens sociaux ; à l’inverse, d’autres estiment qu’un tel comportement n’est pas en soi contraire à l’intérêt social.
6. Retenons de la première série de décisions :
- qu’un gérant de SARL ayant perçu une commission et une prime non prévues par les statuts et non approuvées par les associés a été reconnu coupable d'abus de biens sociaux (T. corr. Rouen 1-7-1977) ;
- qu’un dirigeant ayant reçu une rémunération sans fixation préalable par l'assemblée générale des associés a aussi été jugé coupable, l’abus résultant de l’octroi d’une rémunération indue (CA Paris 27-2-1990) ;
- que l’octroi de primes par un directeur général en complément de son salaire a été considéré comme contraire à l'intérêt social, ces primes n’étant prévues ni par les statuts ni par une décision de l'organe social compétent (Cass. crim. 22-3-2017 n° 15-84.229).
Jugé, à l’inverse, qu’un gérant de SARL ayant perçu une rémunération excédant celle fixée par l'assemblée générale n’a pas commis d’abus de biens sociaux car, eu égard à son activité pour développer l’entreprise, il ne pouvait pas être soupçonné d'avoir méconnu l'intérêt social (CA Chambéry 10-10-2013 n° 13/0030).
7. Pour certains auteurs, la contrariété à l’intérêt social est caractérisée si la rémunération octroyée a été dépourvue de contrepartie ou a exposé l'actif social à un risque injustifié.
Eviter les poursuites ?
8. La ratification a posteriori de la décision d’octroi de la rémunération ou encore le remboursement des sommes indûment perçues ne permettent pas d’éviter une poursuite pour abus de biens sociaux car, en vertu d’une jurisprudence établie, la régularisation ultérieure de prélèvements irréguliers n'enlève pas aux faits leur caractère délictueux.
En conclusion
9. L’octroi unilatéral d’une rémunération par un dirigeant n’est répréhensible que si la contrariété à l’intérêt social est établie. Il est néanmoins extrêmement risqué de recourir à ce type de pratique, pour deux raisons principales :
- la jurisprudence n’est pas uniforme et certaines décisions retiennent parfois automatiquement l’abus de biens sociaux dans un tel cas de figure ;
- l’appréciation objective de la contrariété à l’intérêt social n’est pas simple à mettre en œuvre.