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Sort des créances nées du bail en cas de rachat du fonds de commerce du locataire par le bailleur

Cass. 3e civ. 30-11-2017 n° 16-23.498

Le bail s’éteint par confusion des qualités de locataire et de bailleur si ce dernier acquiert le fonds de commerce du locataire. Celui-ci demeure tenu de régler au bailleur les loyers échus et les réparations locatives.

Un locataire de locaux commerciaux cède son fonds de commerce et son droit au bail à une société qui fait ensuite l’objet d’une liquidation judiciaire. Le bailleur achète alors le fonds de commerce de la société. Puis, invoquant une clause du bail qui prévoit que le cédant est garant solidaire de l’acquéreur en cas de cession du bail, le bailleur réclame au locataire initial le paiement d’un arriéré de loyers dus par la société ainsi que l’indemnisation des dégradations commises par elle dans les locaux.

Pour rejeter ces demandes, la cour d’appel de Bourges retient que, ayant acquis le fonds de commerce de la société, le bailleur était devenu à la fois créancier et débiteur du bail et que cette confusion a éteint ses créances au titre de ce bail.

La Cour de cassation censure cette décision :

  • la dette de loyers échus avant la cession du bail n’est pas, sauf clause contraire, transmise à l’acquéreur, de sorte que celui-ci ne réunit pas sur sa personne les qualités de débiteur et de créancier de cette obligation ;
  • la cession du bail au profit du bailleur a eu pour effet d’opérer son extinction, par la confusion des qualités de propriétaire et de locataire, de sorte que l’obligation de remise en état des lieux loués, à laquelle était tenu le dernier titulaire du bail, n’a pas été transmise à l’acquéreur-bailleur qui en demeure créancier.

A noter : La confusion résulte de la réunion des qualités de créancier et de débiteur d'une même obligation dans la même personne. Elle éteint la créance et ses accessoires, sous réserve des droits acquis par ou contre des tiers (C. civ. art. 1349, ex-art. 1300). Le bail commercial est en général un élément du fonds de commerce, transmis avec ce fonds (cf. C. com. art. L 145-1). La Cour de cassation retient depuis longtemps que, si le bailleur devient locataire, cette double qualité entraîne l’extinction du bail (notamment Cass. 3e civ. 15-7-1971 no 70-11.507 ; Cass. 1e civ. 17-3-1987 no 85-15.700 ; Cass. 3e civ. 24-6-2009 n° 08-16.728). Ainsi, quand le bailleur devient propriétaire des améliorations par le jeu de la confusion, aucune mutation n’intervient et les droits d’enregistrement ne sont pas dus (Cass. com. 4-12-2012 n° 11-25.958 ; Cass. com. 12-6-2012 n° 11-18.978). De même, aucun loyer postérieur à la confusion n’est dû (Cass. 3e civ. 18-11-2003 n° 02-16.616, dans une espèce où les loyers devaient s’imputer sur le prix de cession du fonds). La Cour suprême semble toutefois attacher à la confusion des qualités un effet relatif. Ainsi, dans un cas où le locataire avait sous-loué les locaux avant de les acheter, elle a retenu que la réunion dans la même personne des qualités de propriétaire et de locataire n'opérait pas, au sens de l'ex-article 1300 du Code civil, réunion des qualités de créancier et de débiteur des obligations nées du contrat de sous-location consenti par ce locataire, de sorte que la disparition du bail principal n'avait pas entraîné la résiliation de la sous-location (Cass. 3e civ. 2-10-2002 n° 00-16.867). De même, elle a estimé que les effets de la confusion cessaient en cas de résolution de la vente ayant entraîné la confusion (Cass. 3e civ. 22-6-2005 no 03-18.624). Dans l’espèce commentée, la cour d’appel avait fait produire un effet absolu à la confusion, estimant qu’elle entraînait non seulement la disparition du bail mais encore celle de l’obligation de garantie souscrite par le premier locataire. Toutefois, l’acquéreur du fonds de commerce n’est pas tenu des dettes ou des engagements nés avant la cession, sauf clause contraire (Cass. 3e civ. 7-12-2005 no 04-12.931 ; Cass. 3e civ. 17-9-2008 no 07-10.170 ; Cass. com. 13-1-2009 no 07-21.380). La règle s’applique aux loyers échus et impayés avant la cession. Autrement dit, la confusion, comme la cession, n’a d’effet que pour l’avenir. Il en résulte, dans l’affaire de 2017, que la dette de loyer n’étant pas transmise à l’acquéreur, la confusion des qualités de bailleur et de locataire n’avait pas pu se réaliser pour cette dette et que cette dernière demeurait exigible et continuait à bénéficier de la clause de solidarité. La situation est différente pour la dette de réparations locatives mais aboutit à un résultat identique. En effet, contrairement aux loyers impayés, la dette de remise en état est transmise à l’acquéreur (Cass. 3e civ. 9-7-2003 no 02-11.794 ; Cass. 3e civ. 30-9-2015 no 14-21.237 ; Cass. 3e civ. 8-10-2015 no14-13.179), sauf clause contraire (Cass. 3e civ. 13-6-2001 no99-18.047). Cependant, la transmission s'opère parce que le bail se poursuit après la cession. Si le bail est éteint par la confusion en la même personne des qualités de bailleur et de locataire, cette transmission ne peut plus s’effectuer. Il restera à la cour d’appel de renvoi de statuer sur l’étendue de la clause solidarité souscrite par le premier locataire pour déterminer si elle couvre cette dette.