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Le contrat de crédit-bail est caduc et non plus résilié lorsque la vente du bien concerné est résolue

Cass. ch. mixte 13-4-2018 n°16-21.345

La Cour de cassation juge que la résolution de la vente d’un bien qui a été donné en crédit-bail entraîne la caducité du contrat de crédit-bail et non plus sa résiliation, ce qu'elle retenait auparavant. Les clauses de ce contrat prévues en cas de résiliation sont donc inapplicables.

1. Procédant à un revirement de jurisprudence, la chambre mixte de la Cour de cassation vient de juger qu’il est plus adapté de prononcer la caducité d’un contrat de crédit-bail que sa résiliation lorsque la vente du bien, objet du crédit-bail, est résolue (Cass. ch. mixte 13-4-2018 n° 16-21.345). Solution qu’elle avait déjà retenue pour la location financière. La Haute Juridiction apporte en outre des précisions sur la date de prise d’effet de la caducité et sur ses conséquences.

Le rapport de M. Maunand, l’avis de l'avocat général, M. Le Mesle, et une note explicative concernant cet arrêt sont disponibles sur le site de la Cour de cassation. La chambre mixte n’a pas ici suivi l’avis de l’avocat général.

Les faits : défaut de conformité du véhicule financé par un crédit-bail

2. Une société commande un camion équipé d’un plateau et d’une grue à un fabricant et conclut quelques jours plus tard, avec une banque, un contrat de crédit-bail mobilier prévoyant le versement de quatre-vingt-quatre loyers mensuels pour l’acquisition de ce véhicule. Quelques mois après la livraison du camion, la société découvre que le poids à vide du camion est supérieur à celui indiqué sur le certificat d’immatriculation et que la charge disponible est inférieure à celle contractuellement prévue (620 kg au lieu de 850 kg). La société demande alors  la résolution de la vente et du crédit-bail ainsi que la restitution des loyers versés.

La cour d’appel prononce la résolution de la vente et la caducité du crédit-bail

3. La cour d’appel de Paris, après avoir relevé que le véhicule livré n’était pas conforme au bon de commande, prononce la résolution de la vente et en conséquence la caducité du contrat de crédit-bail, et elle condamne la banque à restituer les loyers versés. Elle précise que la banque ne peut pas se prévaloir des clauses de garantie et de renonciation à recours prévues au contrat de crédit-bail dès lors que celui-ci est caduc.

La banque conteste cette décision. Elle fait valoir que le crédit-bail est distinct de la location financière car il aboutit à l’accès à la propriété du preneur. Il n’y a donc pas lieu, soutient-elle, d’appliquer au crédit-bail la jurisprudence selon laquelle, les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, cette dernière est caduque en cas de résiliation du contrat dominant.

Modifiant sa jurisprudence, la Cour de cassation confirme la décision d’appel

4. Après avoir confirmé la résolution de la vente, la chambre mixte de la Cour de cassation écarte les arguments de la banque en se fondant sur l’argumentation suivante.

Jusqu’à présent, il a été jugé que la résolution du contrat de vente entraînait nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail, sous réserve de l’application de clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation (Cass. ch. mixte 23-11-1990 n° 86-19.396 ; Cass. com. 12-10-1993 n° 91-17.621 ; Cass. com. 14-12-2010 n° 09-15.992). Par ailleurs, il est retenu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants (Cass. ch. mixte 17-5-2013 n° 11-22.768 et n° 11-22.927) et que l’anéantissement de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres (Cass. com. 12-7-2017 n° 15-27.703). Si cette dernière jurisprudence n’est pas transposable au contrat de crédit-bail mobilier, accessoire au contrat de vente, la caducité qu’elle prévoit constitue la mesure adaptée. En effet, la caducité n’affecte pas la formation du contrat et elle peut intervenir à un moment où celui-ci a reçu un commencement d’exécution ; elle diffère de la résolution et de la résiliation en ce qu’elle ne sanctionne pas une inexécution du contrat de crédit-bail mais la disparition de l’un de ses éléments essentiels, à savoir le contrat principal en considération duquel il a été conclu. En conséquence, il y a lieu, ajoute la Haute Juridiction, de modifier la jurisprudence et de décider que la résolution du contrat de vente entraîne, par voie de conséquence, la caducité, à la date d’effet de la résolution, du contrat de crédit-bail et que les clauses prévues en cas de résiliation du contrat sont inapplicables.

Le contrat de crédit-bail immobilier est accessoire au contrat de vente

Le crédit-preneur a donc été condamné à restituer le véhicule à la banque et celle-ci, qui ne pouvait pas se prévaloir des clauses contractuelles de garantie et de renonciation à recours figurant dans le contrat de crédit, à lui restituer les loyers perçus en exécution de celui-ci.

Alignement du sort du crédit-bail et de la location financière en cas de résolution de la vente

5. Des contrats pourtant différents. Comme le soutenait la banque et comme l’explique la Cour de cassation dans une note publiée sur son site, la location financière et le crédit-bail se distinguent sur plusieurs aspects.

Le crédit-bail mobilier, prévu à l’article L 313-7 du Code monétaire et financier, est un contrat de louage d’un matériel professionnel qui permet au preneur de jouir immédiatement du bien en contrepartie du paiement d’un loyer. Le contrat lui permet aussi, car il est assorti d’une promesse unilatérale de vente (option d’achat), de devenir propriétaire du bien en fin de contrat pour un prix déterminé à l’avance et prenant pour partie en compte les loyers versés.

La location financière ne comprend pas d’option d’achat. Elle concerne des biens que l’utilisateur n’envisage pas d’acquérir car ils deviennent rapidement obsolètes, comme le matériel informatique. La durée du contrat est irrévocable et celui-ci n’est pas soumis à la réglementation bancaire. Le contrat financé est souvent un contrat de prestation de services et non une vente.

6. Choix de la caducité. Dans sa décision, la chambre mixte de la Cour de cassation, tout en soulignant la différence entre la location financière et le crédit-bail, applique cependant à ce dernier la jurisprudence relative aux groupes de contrats interdépendants incluant une location financière car la caducité du crédit-bail en cas de résolution de la vente lui semble être une solution adaptée : elle est automatique, sans intervention du juge ; elle ne constitue pas une sanction à proprement parler mais elle est la conséquence naturelle de la disparition d’un élément essentiel du contrat de crédit-bail.

7. C’est aussi la solution appliquée tant par les chambres civiles que par la chambre commerciale de la Cour de cassation quand des contrats, autres qu’une location financière ou un crédit-bail, forment un ensemble indivisible : la résiliation de l’un entraîne la caducité de l’autre (Cass. 1e civ. 4-4-2006 n° 02-18.277 ; Cass. com. 5-6-2007 n° 04-20.380 ; Cass. com. 26-3-2013 n° 12-11.688).

8. La Haute Juridiction précise par ailleurs que la caducité du crédit-bail intervient à la date d’effet de la résolution de la vente, laquelle est le plus souvent la date de conclusion du contrat de vente. Dans sa notice explicative, elle réserve le cas où la vente se réalise par tranches et où la caducité pourra être constatée à une date postérieure à celle de la conclusion du contrat (à l’appui de cette affirmation, elle cite une décision concernant, non une vente, mais un contrat de maintenance : Cass. com. 12-7-2017 n° 16-14.014), mais cette situation devrait être exceptionnelle.

9. Sort des clauses du contrat caduc. La chambre mixte de la Cour de cassation tire les conséquences de la caducité du contrat, revenant logiquement sur sa jurisprudence de 1990 relative au crédit-bail (citée n° 4). Les clauses prévues en cas de résiliation de celui-ci sont inapplicables, comme la chambre commerciale l’a déjà admis en cas de caducité d’un contrat de location financière (Cass. com. 12-7-2017 n° 15-27.703 ; Cass. com. 6-12-2017 n° 16-21.180).

En effet, d’une part, la clause visant l’hypothèse de la résiliation du contrat n’a pas vocation à s’appliquer en cas de caducité de celui-ci ; d’autre part, la caducité met fin au contrat, qui ne peut plus ainsi être appliqué. En conséquence, au cas particulier, le crédit-bailleur n’a pas pu se prévaloir des clauses contractuelles de garantie et de renonciation à recours prévues au contrat.

Celles-ci prévoyaient notamment que, en cas de résiliation du crédit-bail du fait de la résolution de la vente, les loyers versés par le preneur restaient acquis à la société de crédit-bail et que le preneur devait verser à celle-ci une indemnité égale aux loyers restant dus et à la valeur résiduelle du bien à la date de la résiliation.

10. Responsabilité de la partie qui a causé la disparition de l’ensemble contractuel. La partie qui est à l’origine de l’anéantissement des contrats interdépendants est tenue d’indemniser le préjudice causé par sa faute (Cass. com. 26-3-2013 n° 12-11.688 ; Cass. com. 12-7-2017 n° 15-27.703 et n° 15-23.552). A notre avis, la solution est transposable à l’hypothèse du crédit-bail. Si la résolution de la vente du bien, objet du crédit-bail, est imputable à une faute du vendeur, le preneur comme la société de crédit-bail pourront lui réclamer des dommages-intérêts.

Un alignement qui reste partiel

11. Faut-il déduire de la décision de la chambre mixte de la Cour de cassation que toutes les solutions posées à propos de l’interdépendance entre des contrats comportant une location financière s’imposent aussi à une opération financée par un crédit-bail ? Peut-on étendre à cette dernière le principe selon lequel la résiliation de l’un quelconque des contrats interdépendants entraîne la caducité des autres, et donc y compris si c’est la location financière qui est résiliée en premier (Cass. com. 12-7-2017 n° 15-27.703 et n° 15-23.552) ?

Il est peu probable que la réponse soit affirmative.

En effet, la Haute Juridiction prend soin de préciser que cette jurisprudence n’est pas transposable au crédit-bail mobilier, qui est un accessoire de la vente. Elle n’assimile donc nullement ces deux types d’ensemble contractuel. La théorie de l’accessoire (l’accessoire suit le sort du principal) diffère de la notion d’interdépendance : aucun des contrats interdépendants n’est l’accessoire de l’autre. L’interdépendance justifie une caducité réciproque, quel que soit le contrat qui est résilié ou résolu.

Par suite, dans l’hypothèse - inverse à celle de l’espèce - où le crédit-bail est résilié en premier, il n’est pas acquis que la vente est nécessairement caduque. La caducité de la vente ne pourra être admise que dans les conditions désormais fixées par l’article 1186 du Code civil  présentées ci-après.

Incidence de la réforme du droit des contrats sur la solution

12. La réforme du droit des contrats, issue de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, a fixé des règles légales pour la caducité et son application aux ensembles contractuels. Ces règles n’étaient pas applicables en l’espèce.

Désormais, lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie (C. civ. art. 1186, al. 2). La caducité de l’autre contrat n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement (art. 1186, al. 3).

13. Les nouveaux textes ne font nullement référence aux notions d’interdépendance ou de contrat accessoire ou principal. La caducité d’un contrat à la suite de la disparition d’un autre contrat est subordonnée à de nouvelles conditions qui, d’une part, sont plus restrictives que celles posées par la jurisprudence antérieure pour une opération intégrant une location financière et qui, d’autre part, ne faisant aucune distinction selon la nature des contrats, sont applicables à l’opération financée par un crédit-bail.

14. L’article 1187 nouveau se contente de préciser que la caducité met fin au contrat et peut donner lieu à restitution. Rien ne s’oppose donc au maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne la date de prise d’effet de la caducité et la neutralisation des clauses du contrat résolu organisant les conséquences de la résiliation.