Des dirigeants condamnés à combler le passif pour avoir favorisé l’actionnaire et été inertes
CA Versailles 20-2-2018 n°16/09049
Les dirigeants d’une holding en liquidation judiciaire ont été condamnés à contribuer à l’insuffisance d’actif pour avoir eu une gestion favorable à l’actionnaire majoritaire et n’avoir pas réduit la masse salariale malgré les importantes difficultés financières.
1. Les dirigeants d’une personne morale en liquidation judiciaire qui ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif peuvent être condamnés à supporter tout ou partie de cette insuffisance (C. com. art. L 651-2, al. 1).
La cour d’appel de Versailles s’est récemment prononcée sur une action en comblement de passif introduite dans les circonstances suivantes (CA Versailles 20-2-2018 no 16/09049).
Un groupe opérant dans le secteur des industries techniques du cinéma propose à ses clients, par l’intermédiaire des sociétés qui le composent, d’effectuer l’intégralité des opérations de post-production d’un film. Sa holding opérationnelle supporte les coûts de structure du groupe qu’elle refacture à ses filiales au prorata de leur chiffre d’affaires. Elle est détenue majoritairement par une autre société, qui en est également administrateur.
En 2010, le groupe connaît d’importantes difficultés liées à la conversion au numérique. Le 15 décembre 2011, un tribunal de commerce prononce la liquidation judiciaire de la holding, dont l’insuffisance d’actif s’élève à 44,7 millions d’euros. Le liquidateur judiciaire engage alors une action en comblement de passif contre les dirigeants de la holding, leur reprochant six fautes de gestion. Nous en examinerons deux.
Signature d’un protocole d’accord favorable à l’actionnaire majoritaire
2. Le liquidateur reproche aux dirigeants d’avoir, à travers un protocole d’accord signé le 30 septembre 2011 entre plusieurs sociétés du groupe, méconnu les intérêts de la holding pour favoriser ceux de son actionnaire majoritaire.
Ce protocole visait à réorganiser les créances intra-groupe en prévoyant la compensation des créances réciproques des sociétés du groupe par débit de leurs comptes respectifs dans leurs livres à la date du 30 septembre 2011 et la cession de créances par compensation de comptes courants. L’actionnaire majoritaire avait ainsi pu céder et payer par compensation aux filiales du groupe des créances qu’il détenait sur la holding, et incidemment se faire rembourser l’intégralité de son compte courant d’associé, qui était créditeur de 4,5 millions d’euros.
3. La cour d’appel de Versailles estime que l’actionnaire majoritaire, administrateur de la holding, et le président du conseil d’administration de celle-ci ont commis une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif en signant ce protocole. Contrairement à ce que soutiennent les dirigeants, les conventions de trésorerie liant les sociétés du groupe régissaient les mouvements de trésorerie entre les sociétés et la compensation des créances réciproques, mais elles n’envisageaient pas la cession de créances. Ce mécanisme spécifique, à l’origine de la faute reprochée aux dirigeants, avait bien été mis en place par le protocole. Le protocole avait favorisé l’actionnaire majoritaire puisqu’il lui avait permis de réduire son exposition financière au détriment de ses filiales. Il avait privé la holding d’une créance de près de 2 millions d’euros, alors que sa situation financière était difficile et que ses dirigeants s’apprêtaient à déclarer la cessation des paiements.
Absence de diminution de la masse salariale
4. La cour d’appel de Versailles juge que les dirigeants de la holding (l’actionnaire majoritaire administrateur, son représentant permanent, le président du conseil d’administration et le directeur général) ont commis une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif en ne prenant aucune mesure pour réduire la masse salariale de la holding alors que son chiffre d’affaires était en baisse.
En effet, malgré les démarches entreprises par eux pour restructurer le groupe, la holding n’avait pas réduit ses charges corrélativement à la baisse du chiffre d’affaires du groupe, alors même que le passage au numérique était prévisible :
- entre 2005 et 2007, sa masse salariale a doublé, passant de 3,1 à 6,3 millions d’euros ;
- les salaires de ses quarante-quatre salariés s’élevaient à 3 812 000 € en 2009 et à 3 432 952 € en 2010 ;
- huit salariés avaient une rémunération mensuelle supérieure à 6 000 € et trois salariés une rémunération mensuelle supérieure à 15 000 € ;
- les frais de déplacement et de réception étaient très élevés ;
- la rémunération de son directeur général, bien qu’elle ait diminué entre 2009 et 2011, est restée manifestement excessive compte tenu de la situation financière déficitaire de la société ;
- entre 2006 et 2010, l’effectif est resté stable alors qu’il a diminué dans les filiales.
Les dirigeants ne peuvent pas s’exonérer de leur responsabilité en invoquant les démarches qu’ils ont menées par ailleurs pour tenter de restructurer le groupe, qui n’ont pas abouti ou ont été insuffisantes.
5. Cette solution constitue une illustration d’une jurisprudence constante sanctionnant les dirigeants pour leur passivité et leur incapacité à prendre les mesures qui s’imposent face aux difficultés financières que rencontre la société.
Ont par exemple été condamnés le dirigeant qui n’a pas pris en temps utile des mesures concrètes de restructuration pour pallier la détérioration rapide de la situation financière de la société (Cass. com. 13-10-1998 no 96-12.509 P : RJDA 1/99 n° 81) ou les dirigeants qui n’ont pas remédié à l’absence de restructuration des filiales d’un groupe, à l’origine d’une importante dégradation de la trésorerie (Cass. com. 25-6-2002 no 99-20.048 F-D : RJDA 12/02 n° 1305, 1eespèce).
Sanctions prononcées contre les dirigeants
6. Compte tenu des fautes retenues contre les dirigeants, la cour d’appel les condamne à supporter l’insuffisance d’actif à hauteur de :
- 3 500 000 € pour la société actionnaire majoritaire, son représentant permanent au conseil d’administration de la holding et le président du conseil d’administration de celle-ci ;
- 300 000 € pour le directeur général de la holding, compte tenu de sa situation financière difficile (il justifie bénéficier du RSA et de la CMU).
La cour d’appel considère qu’il n’y a pas lieu de prévoir de solidarité entre eux car les fautes retenues n’étaient pas les mêmes pour chacun des dirigeants et leur niveau de responsabilité était différent.