Une créance fiscale qui n’a pas été régulièrement contestée entre dans le passif exigible
Cass. com. 11-4-2018 n° 16-23.019
La créance fiscale que le débiteur n’a pas contestée devant le juge administratif après mise en recouvrement et rejet de sa réclamation auprès du fisc n’est pas litigieuse. Elle constitue un passif exigible pris en compte pour apprécier si ce débiteur est en cessation des paiements.
Une société conteste sa mise en liquidation judiciaire. Elle fait valoir que, pour caractériser son état de cessation des paiements, les juges ont retenu comme passif exigible une créance du fisc dont le montant résulte d'une taxation d’office, alors qu’elle conteste formellement ce montant.
Argument rejeté. Les créances fiscales ne peuvent être contestées que dans les conditions prévues au Livre des procédures fiscales. Il ne relève pas de la compétence du juge saisi de la demande d’ouverture d’une procédure collective formée contre un redevable de se prononcer sur l’existence ou le montant des créances fiscales à inclure dans le passif exigible afin d’apprécier la cessation des paiements de ce redevable. La société concernée ne détenait aucun actif disponible. Son passif exigible était constitué d’une créance fiscale de 163 000 € qui avait donné lieu, après le rejet de la réclamation de cette société, à l’établissement d’avis de mise en recouvrement ; le comptable public disposait donc d’un titre exécutoire que la société n’avait pas contesté en saisissant le juge de l’impôt compétent à la suite du rejet de sa réclamation. La créance fiscale qui n’était pas litigieuse devait donc être incluse dans le passif exigible de la société.
A noter : 1° La mise en redressement ou en liquidation judiciaire d’une entreprise suppose que celle-ci soit en état de cessation des paiements, c’est-à-dire dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible (C. com. art. L 631-1 et L 640-1). Pour les impôts qui doivent être acquittés spontanément (tel l’impôt sur les sociétés), la créance du fisc n'est pas exigible si elle n'a pas fait l'objet d'un avis de mise en recouvrement (CA Paris 21-10-2014 n° 14/09287). Ne peuvent pas non plus être comptabilisées dans le passif exigible les créances fiscales contestées (cf., notamment, Cass. com. 13-1-1998 n° 96-10.352 P et 96-10.439 D) ou, plus exactement, les créances litigieuses au jour où le juge statue sur l’état de cessation des paiements du débiteur (Cass. com. 7-2-2012 n° 11-11.347). En effet, la réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement suspend l'exigibilité de l'impôt, jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent (LPF art. 277, al. 2). La créance est alors exclue du passif exigible (Cass. com. 1-12-2009 n° 08-12.054). Toutefois, une créance fiscale a été considérée comme exigible même si elle faisait l'objet d'une contestation devant le juge administratif dès lors que le débiteur n'avait pas obtenu un sursis au paiement (Cass. com. 12-1-2010 n° 08-70.147 ; dans le même sens Cass. com. 7-3-2006 n° 04-19.254). Les créances fiscales ne peuvent être contestées que dans les conditions prévues au Livre des procédures fiscales, y compris lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure collective (notamment, Cass. com. 24-9-2003 n° 01-00.472 ; Cass. com. 3-2-2015 n° 13-25.256).
2° S’agissant de la répartition de compétence entre le juge de la procédure collective et le juge administratif lorsqu’il est juge de l’impôt, le Tribunal des conflits a précisé que le premier est, quelle que soit la nature des créances en cause, seul compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective (T. confl. 13-4-2015 n° 3988 et 3998), par exemple celle relative à la régularité de la déclaration de créance effectuée par l’administration fiscale (Cass. com. 24-9-2003 n° 01-00.472). En revanche, il est incompétent si la contestation porte sur l’existence et le montant de la créance fiscale (notamment, Cass. com. 24-9-2003 précité ; Cass. com. 15-11-2005 n° 04-17.328) ; tel est le cas quand il s’agit de déterminer si une créance fiscale est prescrite en application de l’article 274 du Livre des procédures fiscales (T. confl. 13-4-2015 n° 3988 précité). La décision commentée s’inscrit dans la ligne de cette jurisprudence, en déniant toute compétence au juge de la procédure collective pour statuer sur l’existence ou le montant d’une créance fiscale, y compris pour apprécier l’état de cessation des paiements d’un débiteur, notion pourtant spécifique au droit des procédures collectives. Mais ce juge peut apprécier si la créance fiscale est exigible ou litigieuse. Jugé aussi que le juge-commissaire qui vérifie le passif du débiteur en procédure collective ne peut pas admettre une créance fiscale qui a fait l’objet d’une réclamation contentieuse mais peut seulement constater qu’une instance est en cours (Cass. com. 11-2-2014 n° 13-10.554).