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Une distorsion temporelle n’entraîne pas toujours l’illicéité de la clause d’indexation d’un bail

Cass. 3e civ. 17-5-2018 n° 17-11.635 Cass. 3e civ. 17-5-2018 n° 17-15.146

Le juge doit déclarer non écrite la clause d’indexation d’un bail commercial qui crée une distorsion, même minime, entre la période de variation de l’indice et la durée entre chaque révision. Mais il peut adapter la clause s’il a créé une distorsion en révisant le loyer.

1. Par deux arrêts rendus le même jour, la Cour de cassation vient d’apporter des précisions sur la validité des clauses d’indexation contenues dans les baux commerciaux au regard des exigences de l’article L 112-1 du Code monétaire et financier (Cass. 3e civ. 17-5-2018 n° 17-11.635 ; Cass. 3e civ. 17-5-2018  n° 17-15.146). Cet article, rappelons-le, répute non écrite toute clause d’un bail qui prévoit la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. Ainsi, la clause ne doit pas créer une distorsion entre la période de variation de l’indice et la durée entre chaque révision. Par exemple, pour une indexation annuelle, la période de variation de l’indice ne peut pas excéder une année.

Appréciation de la distorsion contractuelle

2. On sait que les clauses d’indexation qui comportent un indice de base fixe ne sont pas contraires à l’article L 112-1 du Code monétaire et financier dès lors qu’elles prévoient une concordance entre la période de variation de l’indice et la durée s’écoulant entre deux révisions (Cass. 3e civ. 16-10-2013 no 12-16.335 ; Cass. 3e civ. 3-12-2014 no 13-25.034 ; Cass. 3e civ. 25-2-2016 n° 14-28.165) ; en d’autres termes, la durée séparant les indices de base et de comparaison doit être identique à celle séparant le loyer de référence et le loyer indexé.

3. La Cour de cassation vient de juger que, si les juges du fond constatent qu’une clause d’indexation crée une distorsion, ils n’ont aucun pouvoir d’appréciation au regard de la gravité de la distorsion engendrée par la clause : ils doivent déclarer cette clause non écrite  (Cass. 3e civ. 17-5-2018 n° 17-11.635).

Dans cette affaire, par application de la clause d’indexation, la première indexation avait eu lieu le 1er janvier 2000, quatre mois après la prise d’effet du bail, sur la base de l’indice du 2etrimestre 1998 comparé à celui du 2e trimestre 1999, soit une variation indiciaire d’un an. Malgré cette distorsion, la cour d’appel avait refusé d’écarter la clause car les effets de la distorsion ainsi créée étaient minimes.

Cette décision ne pouvait qu’être censurée par la Cour de cassation car elle n’est pas conforme à l’article L 112-1 du Code monétaire et financier, qui est d’ordre public.

Distorsion issue d’une révision judiciaire du loyer

4. Lorsqu’un bail commercial est assorti d’une clause d’indexation, la révision du loyer peut être demandée en justice chaque fois que le loyer se trouve augmenté ou diminué, par le jeu de cette clause, de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire (C. com. art. L 145-39). La clause d’indexation reprend ensuite son cours à partir du nouveau loyer fixé judiciairement.

Le nouveau loyer est dû à compter du jour de la demande en révision (art. R 145-20) si bien que, mécaniquement, l’échéance du nouveau loyer judiciairement révisé n’est bien souvent plus en corrélation avec la date contractuelle de révision du loyer indexé.

La création d’une telle distorsion temporelle entraîne-t-elle l’illicéité de la clause d’indexation ?

5. C’est ce que soutenait un locataire de locaux commerciaux dans l’affaire suivante. Le bail commercial, qui avait pris effet le 1er juillet 1994, contenait une clause d’indexation prévoyant que le loyer serait indexé sur l'indice du coût de la construction et serait révisé tous les ans en prenant, pour indice de référence, celui du 4e trimestre 1993 et, pour indice de comparaison, celui du 4e trimestre de l'année civile précédant le jour anniversaire de la révision (pour la première révision au 1er juillet 1995, indice du 4e trimestre 1994). La révision judiciaire était intervenue sur demande du bailleur le 23 décembre 2009, donc à une date différente de celle retenue par le bail pour l’application de la clause d’indexation (le 1er juillet). Le locataire a alors avancé l’argumentation suivante : la révision a entraîné une modification de l’intervalle de révision convenu initialement et a induit nécessairement une distorsion prohibée rendant la clause d’indexation illicite puisque la nouvelle période de révision du nouveau loyer n’est plus en concordance avec l’intervalle de variation indiciaire ; le juge ne peut pas éviter cette distorsion en adaptant la clause par application de l’article R 145-22 du Code de commerce car cet article ne lui donne pas le pouvoir de modifier la clause mais prévoit seulement que « le juge adapte le jeu de l'échelle mobile à la valeur locative au jour de la demande ».

6. Ce raisonnement est écarté par la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 17-5-2018  n° 17-15.146) : l’article L 112-1 du Code monétaire et financier interdit seulement l’organisation contractuelle d’une distorsion entre la période de variation de l’indice et celle de la variation du loyer.

La distorsion qui résulte mécaniquement de l’intervention du juge dans le cadre de la procédure de révision de l’article L 145-39 n’est pas contestable car le juge est contraint, en vertu de l’article R 145-20, de fixer l’échéance du nouveau loyer à la date de la demande. En décider autrement aboutirait à paralyser la procédure de révision de l’article L 145-39 car il est rarissime que la demande de révision soit faite à la date d’échéance contractuelle du loyer.

7. Afin que cette distorsion mécanique puisse être corrigée, ajoute la Cour de cassation, les juges du fond peuvent adapter la clause d’indexation en fonction de la nouvelle échéance légale.

La solution est pragmatique. Si l’article R 145-22 ne vise expressément que l’adaptation de la clause d’indexation au regard de la valeur locative, on ne saurait se fonder exclusivement sur la lettre du texte pour considérer que le juge est privé de tout pouvoir d’adaptation l’empêchant de corriger la distorsion mécanique liée à son pouvoir de révision : le juge doit donc pouvoir remettre en concordance la clause d’indexation lorsque la distorsion résulte de sa seule intervention. En procédant ainsi, le juge ne remet en cause ni l’indice choisi par les parties ni l’économie générale de la clause d’indexation ; il se limite à adapter cette clause en fonction de la nouvelle échéance légale du loyer révisé.