Manquement du franchiseur à l’obligation d’information précontractuelle du franchisé
Cass. com. 5 janvier 2016 n° 14-15.701, n° 14-15.702, n° 14-15.705, n° 14-15.706, n° 14-15.710
Le défaut de présentation par le franchiseur d’un état du marché local et de ses perspectives de développement n’est pas sanctionné par l’allocation de dommages-intérêts au franchisé lorsque cette information n’a pas été un élément essentiel et déterminant de son engagement.
1. Toute personne mettant à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, lui permettant de s'engager en connaissance de cause. Le document doit indiquer l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités (C. com. art. L 330-3).
Il doit aussi comporter une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché (C. com. art. R 330-1).
2. Un franchiseur qui avait lancé un nouveau concept reposant sur la distribution conjointe de crédits à la consommation et de contrats d’assurance était poursuivi par plusieurs franchisés du réseau, déçus par leurs résultats.
Les franchisés reprochaient au franchiseur un manquement à son obligation précontractuelle d’information car il ne leur avait pas fourni l’état du marché local et ses perspectives de développement. Certains estimaient en outre avoir été mal renseignés sur l’absence d’expérimentation préalable du nouveau concept et avaient invoqué le manque de sincérité de l’information donnée par le franchiseur.
Par plusieurs décisions du 5 janvier 2016, la Cour de cassation s’est prononcée sur le bien-fondé de chacune des demandes de dommages-intérêts formées par les franchisés
Défaut de présentation de l’état du marché local
3. Une première affaire concernait le franchisé de Tours ayant acquis pour un euro les parts d’une société qui avait exploité la franchise avant lui. Il soutenait qu’au moment de son engagement le franchiseur avait développé le concept depuis plus de trois ans et était donc en mesure de lui remettre un état du marché local et de ses perspectives de développement, ce manquement justifiant de lui allouer des dommages-intérêts.
La Cour de cassation a rejeté sa demande car l'information sur le marché local n'avait pas été un élément essentiel et déterminant de son engagement : l'expérience qu’il avait acquise dans le domaine des assurances et l'exploitation d'un point de vente sous l’enseigne du franchiseur dans la région de la Rochelle depuis deux ans au moment de la conclusion du contrat de franchise lui permettaient de connaître les enjeux de son nouvel investissement ; le franchisé n'avait pas estimé nécessaire de se livrer à une étude de marché portant sur la ville de Tours, qu'il ne connaissait pas, alors qu'il savait avant l'acquisition des parts sociales, qu'il fallait un plan de « relancement » pour l'agence (n° 14-15.701).
4. Dans une deuxième affaire, la demande de dommages-intérêts était formée par l’un des cogérants de la société franchisée de Nancy. Le franchiseur avait remis à cette société un document d'information précontractuelle (DIP) mais aucune présentation du marché local et de ses perspectives n’y figurait.
Là encore, la Cour de cassation a rejeté la demande de dommages-intérêts : les cogérants de la société franchisée avaient une expérience professionnelle, acquise dans le domaine de l'assurance pour l'un et dans le secteur du courtage et de la banque pour l'autre ; ils s’étaient engagés après avoir reçu les avertissements de leur avocat concernant la portée des indications du DIP, selon lesquelles le franchisé déclarait réaliser lui-même une étude de marché, cependant que le franchiseur ne fournissait aucune référence d'activité du fait de la création récente du réseau. Il résultait de ces constatations que l'état du marché local et de ses perspectives n’avaient pas eu de caractère déterminant pour les gérants de la société franchisée (n° 14-15.702).
5. Dans la troisième affaire, la demande de dommages-intérêts était formée par le gérant de la société franchisée de la ville d’Haubourdin et par le liquidateur judiciaire de cette société.
La Cour suprême a rejeté la demande : au moment de la signature du contrat de franchise, le gérant exerçait la profession de courtier en produits bancaires et assurances depuis dix ans dans la ville d'Haubourdin ; il avait une bonne connaissance du marché local dans lequel il évoluait depuis vingt ans ; il avait en outre déclaré dans le contrat avoir effectué sous sa propre responsabilité une étude de marché (n° 14-15.705).
6. De la même manière, la Cour de cassation a rejeté la demande du franchisé de la zone d’Evreux, en raison de sa bonne connaissance du marché local : il exerçait depuis vingt-huit ans une activité de courtage en matière d'assurance et de crédit dans la ville de Rouen et il avait également exercé une activité de courtier en finances dans la région d'Evreux, pendant les dix-sept ans qui avaient précédé la conclusion du contrat de franchise ; le franchisé avait aussi déclaré, dans le contrat de franchise, avoir effectué sous sa propre responsabilité une étude de marché (n° 14-15.710).
7. Dans la dernière affaire, la Cour de cassation a en revanche laissé ouverte la voie de l’indemnisation du franchisé de Villeneuve-d’Ascq qui n’avait pas eu communication de l’état du marché local et de ses perspectives.
La cour d’appel de Paris avait rejeté la demande de dommages-intérêts, retenant que le franchisé avait une bonne connaissance du marché local en raison de ses fonctions précédentes de conseiller épargne, rédacteur de crédit et formateur pour des produits d'épargne et de crédit, puis commercial, dans la région Nord.
La Cour de cassation a censuré cette décision. Les juges du fond n’avaient pas précisé en quoi l'expérience du franchisé, acquise dans le domaine du crédit et dans des villes distinctes du lieu d'implantation de la franchise, était suffisante pour lui permettre d'apprécier l'état du marché local d'un concept novateur alliant crédit et assurance sur la ville de Villeneuve-d'Ascq (n° 14-15.706).
Sincérité de l’information
8. Deux franchisés soutenaient avoir été informés du caractère innovant du concept du franchiseur mais pas de l’absence d’expérimentation de ce concept. Ils en déduisaient que l’information reçue n’était pas sincère et qu’il ne s’étaient pas engagés en toute connaissance de cause.
La Cour de cassation a rejeté cet argument. Dans les deux cas, le DIP mentionnait que le franchiseur ne pouvait communiquer aucun résultat chiffré du fait de sa création récente et précisait le domaine dans lequel chacune des deux sociétés fondatrices de la franchise avait développé son expertise, ce dont il se déduisait que l'expérience acquise par ces dernières ne portait pas sur le concept innovant associant l'assurance et le crédit ; les franchisés avaient donc bien été informés de l'absence d'exploitation préalable du concept (n° 14-15.705 et n° 14-15.710).