Les associés d'une société civile en liquidation judiciaire peuvent être immédiatement poursuivis
CA Paris 11 février 2016 n° 15-07139, ch. 5-9
Les associés d'une société civile en liquidation judiciaire peuvent être poursuivis en paiement des dettes sociales dès lors qu'ils ne justifient pas que le patrimoine social est susceptible de désintéresser intégralement les créanciers à la date de leur demande.
Les créanciers d'une société civile ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre les associés, débiteurs subsidiaires du passif social envers les tiers, qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la société (C. civ. art. 1858).
Les associés d'une société civile en liquidation judiciaire avaient été poursuivis en paiement de dettes sociales par une banque qui avait déclaré sa créance au passif de la procédure. Ils avaient opposé que, si l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire dispense le créancier d'une société civile de prouver les vaines poursuites, ils pouvaient néanmoins apporter la preuve contraire en justifiant de l'existence d'un patrimoine social suffisant pour désintéresser le créancier. Or, faisaient-ils valoir, les opérations de liquidation judiciaire n'étaient pas clôturées et aucun certificat d'irrécouvrabilité n'avait été délivré tandis qu'une action en comblement de passif et une action en contribution aux pertes avaient été engagées contre les dirigeants et les associés pour un montant supérieur à celui du passif provisoire ; en outre, la créance de la banque était garantie par une hypothèque conventionnelle.
La cour d'appel de Paris a rejeté cet argument. « En tout état de cause », les associés ne justifiaient pas que le patrimoine social était suffisant pour désintéresser l'ensemble des créanciers, ce qui avait d'ailleurs conduit le liquidateur à poursuivre les gérants en comblement de passif. L’insuffisance du patrimoine social étant établie à la date de sa demande, la banque ne saurait se voir imposer de ne poursuivre les associés que du seul reliquat de sa créance une fois distribué le prix de cession des actifs de la société. Quant aux actions menées contre les associés, il n'est pas prétendu que ces derniers entendaient y acquiescer ni davantage que leurs patrimoines permettaient d'assumer la charge des éventuelles condamnations.
A noter : Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a jugé que la condition de vaine poursuite de la société civile est remplie lorsque celle-ci est soumise à une procédure de liquidation, si le créancier a déclaré sa créance à la procédure, ce qui le dispense d'avoir à établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser (Cass. ch. mixte 18-5-2007 n° 05-10.413). Cette décision, à laquelle l'argumentation des associés faisait référence, est notamment justifiée par le fait qu'en pratique les créanciers sociaux ont très peu de chances d'être payés à l'issue de la liquidation.
Un doute subsiste sur la portée de cette solution : l'associé d'une société civile en liquidation judiciaire peut-il démontrer que le créancier n'a pas vainement poursuivi la société en prouvant que le patrimoine social suffirait à le désintéresser ?
La réponse est positive si la solution énoncée par la Cour de cassation est analysée en une règle de preuve instituant une simple présomption de vanité des poursuites en cas de liquidation judiciaire. L'associé pourrait alors invoquer l'existence d'une sûreté garantissant la créance. Il pourrait également démontrer que la vente des biens de la société par le liquidateur permettrait d'apurer l'intégralité du passif social. En effet, le patrimoine de la société ne se limite pas à la notion d'actif disponible qui est prise en compte pour l'ouverture d'une procédure de liquidation ou de redressement. A l'inverse, la solution dégagée par la chambre mixte peut s'interpréter comme une règle de fond générale et abstraite étrangère à toute preuve contraire.
La cour d'appel de Paris semble admettre que l'associé puisse démontrer que le patrimoine de la société suffise à désintéresser en totalité le créancier. Mais la solution mérite d'être confirmée.