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Saisie en période suspecte de la créance d'une société au titre du capital non libéré

Cass. 2e civ. 12 mai 2016 n° 15-13.833.

La fraction du capital social non libérée étant une créance certaine de la société sur ses associés, un créancier de la société peut la saisir, même si les associés n’ont pas encore été appelés à verser cette fraction. La saisie peut être valable bien que réalisée en période suspecte.

1. La saisie-attribution permet à un créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible de saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur (C. exécution art. L 211-1). Elle emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers (art. L 211-2).

2. Le créancier d’une SARL, qui avait obtenu la condamnation de celle-ci à lui payer une provision, avait fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains des associés de la société, au titre de la fraction non libérée de leurs parts sociales. La société avait ensuite été mise en liquidation judiciaire.

Une cour d’appel avait condamné l’un des associés à payer au créancier la totalité des sommes que la société lui devait car il n’avait pas informé l’huissier chargé de la saisie de l’étendue de ses obligations à l’égard de la société (application de l’art. L 211-3 du Code des procédures civiles d’exécution). L’associé concerné avait alors contesté la validité de la saisie et, par voie de conséquence, sa condamnation.

Il se fondait sur deux arguments, qui ont tous deux été rejetés par la Cour de cassation.

La créance était disponible même si la gérance n’avait pas appelé le solde du capital

3. L’associé soutenait tout d’abord que la saisie ne pouvait pas avoir eu d’effet attributif avant l’ouverture de la procédure collective de la société, faute d’avoir porté sur une créance disponible ; selon lui, seule la procédure légale d'appel de fonds par la gérance aurait rendu exigible le solde du capital non libéré et, en l’absence d’un tel appel, la créance de la société sur ses associés n’existait qu’en germe dans son patrimoine ; en l'espèce, la saisie était donc soumise à la règle selon laquelle l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’un débiteur arrête ou interdit toute procédure d’exécution de la part des créanciers antérieurs et toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture (C. com. art. L 622-21, II).
La Cour de cassation a jugé au contraire que le capital social non libéré est une créance de la société contre ses associés pouvant faire l’objet d’une saisie de la part d’un créancier de cette société.

4. En effet, l’argument invoqué par l’associé reposait sur une confusion entre l’exigibilité et la disponibilité de la créance. Or, sont saisissables par voie de saisie-attribution les créances de sommes d’argent qui sont disponibles, y compris si elles sont conditionnelles, à terme ou à exécution successive (C. exécution art. L 112-1), et donc pas encore exigibles.

Lors de la création d’une SARL, les parts sociales correspondant à des apports en numéraire peuvent n’être libérées que partiellement (au moins un cinquième du montant des apports), la libération du solde devant intervenir, en une ou plusieurs fois, sur décision du gérant et dans les cinq ans de l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés (C. com. art. L 223-7, al. 1). La créance de la société sur l’associé au titre de la fraction non libérée des parts que celui-ci détient ne devient exigible qu’à compter de l’appel des fonds par le gérant (cf. Cass. com. 15-7-1992 n° 90-17.754), ou à compter de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société (C. com. art. L 624-20) mais elle existe d’ores et déjà : elle est certaine.

Ces principes s’appliquent non seulement à la SARL mais aussi aux autres sociétés commerciales et aux sociétés civiles, quand les statuts n’exigent pas la libération immédiate de la totalité du capital lors de la constitution de la société.

5. En l’espèce, l’associé était donc bien débiteur à la date de la saisie d’une créance certaine à l’égard de la société. Il a été condamné à payer environ 140 000 €, soit la totalité de la somme due au créancier, dès lors qu’il s’était délibérément abstenu, sans motif légitime, de fournir les renseignements requis à l’huissier et qu’il s’était reconnu redevable à l’égard de la société d'une somme de 30 000 € au titre du solde non libéré d'un apport en capital.

L’annulation de la saisie n’avait pas été demandée par les acteurs de la procédure collective

6. L’associé avait aussi prétendu que la saisie-attribution encourait l’annulation puisqu’elle avait été pratiquée après la date de cessation des paiements de la société (pendant la période suspecte) par un créancier qui avait connaissance de cet état (C. com. art. L 632-2).
Argument également écarté par la Cour de cassation. L'annulation de la saisie-attribution pratiquée après la date de cessation des paiements n'est qu’une faculté, qui n'avait pas été exercée en l’espèce.

7. Certains actes effectués en période suspecte (entre la date de cessation des paiements d’un débiteur et la date à laquelle il a été mis en redressement ou en liquidation judiciaire) sont nuls de plein droit (C. com. art. L 632-1, I) tandis que d’autres sont seulement annulables (art. L 632-1, II et L 632-2). La saisie-attribution pratiquée pendant la période suspecte par un créancier ayant connaissance de l’état de cessation des paiements de son débiteur entre dans cette seconde catégorie. Au cas particulier, ni le liquidateur judiciaire ni le ministère public n’en avaient demandé l’annulation.

Saisi d’une action en nullité facultative, le tribunal peut aussi refuser de la prononcer (pour un exemple à propos d’une saisie-attribution, voir CA Paris 16-11-2010 n° 10-6684).