Rupture, par l'acheteur d’un fonds de commerce, d’une relation commerciale établie par le cédant
Cass. com. 15 septembre 2015 n° 14-17.964
Lorsque le repreneur d’un fonds de commerce rompt ses relations avec un transporteur qui travaillait déjà avec l’ancien exploitant, cette relation antérieure ne compte pas pour le calcul du préavis si le repreneur n’a pas entendu la poursuivre.
Le locataire-gérant d’un fonds de commerce de négoce de boissons avait acheté celui-ci six mois après l'avoir pris en location. Il avait alors informé le transporteur qui assurait, depuis plusieurs années, le transport de l'approvisionnement en boissons de ce fonds de sa décision d'effectuer désormais lui-même le transport. Estimant que le préavis de quatre mois avant la prise d’effet de cette décision était trop court au regard de la relation commerciale entretenue avec le précédent propriétaire du fond, le transporteur avait réclamé des dommages-intérêts à l’acquéreur.
Demande rejetée. Il résultait en effet des éléments suivants que le préavis dont devait bénéficier le transporteur n’avait pas à être déterminé en considération de la relation précédemment nouée avec le cédant du fonds de commerce : la cession du fonds avait transféré la propriété des éléments du fonds mais elle n'a pas de plein droit substitué l’acquéreur au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que ce dernier entretenait avec le transporteur ; si l’acquéreur avait confié à celui-ci le transport de ses boissons pendant la durée de la location-gérance puis après l'acquisition du fonds, avant de l'informer quinze jours plus tard qu'il mettait fin à leurs relations, ces seuls éléments ne permettaient pas de considérer que l’acquéreur avait eu l’intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée entre le cédant et le transporteur.
A noter : Cet arrêt marque une évolution de jurisprudence.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation retenait une conception relativement extensive de la notion de relation commerciale établie, traduisant une approche essentiellement économique. C’est ainsi qu’il a été admis qu'une même relation commerciale ait pu se nouer successivement avec plusieurs personnes dès lors que le successeur poursuivait la relation initialement nouée en reprenant, notamment, les caractéristiques essentielles des accords passés (Cass. com. 29-1-2008 n° 07-12.039 : RJDA 8-9/08 n° 953 ; Cass. com. 2-11-2011 n° 10-25.323 : RJDA 7/12 n° 721 ; Cass. com. 25-9-2012 n° 11-24.301 : RJDA 12/12 n° 1108 ; Cass. com. 20-5-2014 n° 12-20.313 : JCP E 2014 n° 1415 note N. Mathey).
L’arrêt commenté marque un coup d’arrêt, en mettant en lumière la nécessité de caractériser les éléments impliquant la volonté de substituer un partenaire à un autre pour permettre la poursuite de la relation initiale, dans un domaine (la transmission d’un fonds de commerce) où l’automaticité n’est pas la règle. En effet, il est admis que le locataire-gérant ou l'acquéreur d'un fonds de commerce n'est pas tenu des obligations personnelles du loueur ou du cédant.En l’espèce, le maintien des relations avec le transporteur pendant les six mois de la location-gérance ne pouvait pas être interprété comme exprimant la volonté du repreneur du fonds de maintenir la relation initiée par le cédant du fonds. Le délai de préavis devait donc être déterminé sans tenir compte de la durée de la relation entre le cédant du fonds et le transporteur.
Cette décision devrait inciter le vendeur d'un fonds de commerce à envisager avec l'acquéreur le sort des relations commerciales en cours au moment de la cession, car il y a de fortes chances que sa responsabilité soit recherchée à raison de la rupture de ces relations que provoque la cession de son fonds.