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Un administrateur de société cotée coupable de délit d'initié

Cass. crim. 20-4-2017 n° 14-84.562

La vente de ses actions par un administrateur de société cotée peu avant l'annonce de la cession d'un bloc d'autocontrôle constitue un délit d'initié car l'administrateur n'ignorait pas l'imminence de cette cession.

Un administrateur de société cotée vend sur le marché pour plus de 60 € des actions issues de stock-options qu'il a exercées la veille à un prix très inférieur (de 40 % environ), réalisant une plus-value de 14 millions d'euros. Trois jours après, la société annonce la cession d'un bloc d'autocontrôle (actions détenues sur elle-même) de 55 millions de titres, entraînant la baisse du cours de l'action.

L'administrateur a été jugé coupable de délit d'initié pour avoir vendu ses titres en ayant connaissance du projet de cession du bloc d'autocontrôle, qui constituait une information privilégiée :

  • même s'il avait démissionné de ses fonctions de directeur exécutif au sein de la société un mois avant la vente de ses actions, il était un administrateur au fait de la situation du groupe à la tête duquel se trouvait la société, un homme d’affaires avisé et l’un des plus gros actionnaires de cette société ;
  • il ne pouvait pas ne pas avoir entendu ou compris, lors d'un conseil d’administration réuni trois semaines avant cette vente, les explications du PDG et du directeur financier de la société sur l’impérieuse nécessité, à la suite des acquisitions d'entreprises réalisées par celle-ci, de désendetter le groupe en priorité par la cession d’un bloc d’autocontrôle d’au moins 35 millions d’actions au prix plancher de 60 € ; lorsque, trois jours après cette réunion, un communiqué d'une agence de notation précisait que l’endettement de la société devait être réduit d’au moins 2 milliards d’euros « par des cessions d’actifs et d’autres mesures tendant à la réduction de la dette », l'administrateur disposait ainsi d’une information claire et précise sur le volume du bloc à céder et les conditions de déclenchement de l’opération ;
  • en apprenant au moment de la levée des options que le cours de l’action avait atteint 60 € pendant plusieurs jours, l'administrateur ne pouvait qu’en déduire l'imminence de l’annonce de la cession du bloc d’autocontrôle ;
  • il ne pouvait pas ignorer le caractère confidentiel de cette information, de nature à influer sur le cours du titre puisque, selon ses propres déclarations, la cession du bloc, en contradiction avec une précédente annonce du PDG selon laquelle la société, au lieu de céder les titres, en annulerait 33 millions, a eu un effet terrible sur le marché ;
  • le seul fait de sa démission ne justifiait pas l'obligation de vendre ses actions pendant une période où pesait sur lui une obligation d’abstention.

L'information en cause était donc précise, confidentielle et de nature à influer sur le cours du titre même si le sens de cette influence potentielle était indéterminé. Et l'administrateur avait une connaissance suffisante de l’information, qui le plaçait dans une situation rompant l’égalité avec les autres investisseurs, non-initiés, et lui permettait de se déterminer à réaliser la vente de ses titres. Il n’a pas pu, en apportant la preuve contraire, justifier ne pas avoir utilisé l’information privilégiée qu’il détenait pour décider de cette vente.

A noter : Le délit d'initié est caractérisé par l'usage d'une information privilégiée pour réaliser une opération sur le marché (C. mon. fin. art. L 465-1). A l'époque des faits de l'espèce, ce texte ne définissait pas la notion d'information privilégiée. La Cour de cassation avait jugé qu'une information était considérée comme privilégiée si elle était précise, confidentielle, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminante des opérations réalisées (Cass. crim. 26-6-1995 n° 93-81-646). La notion est désormais définie par le règlement européen 596/2014 du 16 avril 2014, auquel renvoie l'article L 465-1 et dont les termes sont proches de la définition donnée par la Cour de cassation (pour l'essentiel, information précise et non publique concernant un émetteur ou un instrument financier qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer le cours de l’instrument ou d’un dérivé qui lui est lié : art. 7, § 1). En l'espèce, le projet de cession du bloc d'autocontrôle revêtait bien les caractères d'une information privilégiée, notamment parce qu'elle avait déterminé le vente. Tel n'est pas le cas, à l'inverse, d'une vente motivée, non par la connaissance de l'information, mais par la nécessité de rembourser de lourds emprunts immobiliers (CA Paris 26-10-1999). Par ailleurs, la précision de l'arrêt commenté selon laquelle l'information litigieuse était de nature à influer sur le cours du titre même si le sens de cette influence était indéterminé se situe dans la ligne de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne ayant énoncé qu'une information peut être considérée comme précise même s'il n'est pas possible de déduire avec un degré de probabilité suffisant que son influence potentielle sur les cours s'exercera dans un sens déterminé, une fois rendue publique (CJUE 11-3-2015 aff. 628/13).