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Le droit à la preuve peut justifier une atteinte proportionnée au secret des affaires

Cass. 1e civ. 22-6-2017 n°15-27.845

Pour la première fois, la Cour suprême admet que la production d'éléments portant atteinte au secret des affaires peut être ordonnée. Mais il faut que cette production soit indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Un agent d’assurances exerçant ses fonctions pour le compte de deux compagnies d’assurances démissionne de son mandat à l'égard de l’une d’elles. Cette dernière, suspectant qu’il se livre à une concurrence statutairement interdite, voire déloyale, demande, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, la communication de pièces permettant de retracer ses nouvelles activités d'agent général et de courtier en assurances.

L’autre compagnie d’assurances soutient que cette communication forcée porte atteinte au secret des affaires en permettant la divulgation d'informations confidentielles sur son portefeuille de clientèle et sa politique tarifaire ; elle demande à la place la nomination d’un tiers soumis au secret professionnel pour analyser les portefeuilles de clientèle.  

Une cour d’appel rejette cette dernière demande en retenant que ni le secret d'affaires ni la circonstance que la compagnie d’assurances soit propriétaire du fichier clients constitué par l’agent général ne suffisent à justifier, au regard de la manifestation de la vérité, l’opposition à la production en justice d'éléments de preuve nécessaires à l'appréciation de l'existence éventuelle d'un détournement de clientèle.

Censure de l’arrêt par la Cour suprême : les juges du fond auraient dû rechercher si cette mesure d'instruction, confiée à un tiers soumis au secret professionnel, n'était pas proportionnée au droit de la première compagnie d’assurances d'établir la preuve d'actes de concurrence interdite ou déloyale attribués à l'agent général et à la préservation des secrets d'affaires de la compagnie concurrente.

A noter : L’article 145 du Code de procédure civile, dont la mise en œuvre est souvent sollicitée en droit des affaires, permet à tout intéressé de demander au juge qu’il ordonne une mesure d’instruction s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige. Le secret des affaires ne fait pas en lui-même obstacle au prononcé d'une mesure d'instruction préventive ainsi qu'à la production forcée de pièces, mais c'est à la condition que ces mesures procèdent d’un motif légitime et soient nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées (Cass. 2e civ. 7-1-1999 n° 95-21.934 ; Cass. 2e civ. 8-2-2006 n° 05-14.198 ; Cass. soc. 19-12-2012 n° 10-20.526).

Par ailleurs, en raison de l’exigence d’un procès équitable formulée par l’article 6, 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qui rend nécessaire un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, la Cour de cassation considère que le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte au secret des affaires qu'à la condition que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi, ainsi qu’elle l’a déjà jugé  pour l’atteinte à l’intimité de la vie privée (Cass. 1e civ. 10-9-2014 n° 13-22.612 ; Cass. 1e civ. 25-2-2016 n° 15-12.403).