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Perte d’une chance d’obtenir l’annulation de l’autorisation d’implantation d’un magasin concurrent

Cass. com. 8-11-2017 n° 16-19.035

La perte d’une chance, pour un magasin de bricolage, d’obtenir l’annulation de l’autorisation d’implantation d’un magasin concurrent doit être réparée par l’auteur du recours déposé au nom du magasin devant la Commission nationale d’aménagement commercial, puis fautivement abandonné.

Ayant appris que la création d’un centre commercial comprenant un magasin Brico Leclerc a été autorisée par une commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), une société exploitant un magasin à l’enseigne « Mr Bricolage » à proximité du lieu prévu pour l’implantation de ce centre en informe la société Mr Bricolage. Cette dernière forme un recours contre la décision de la CDAC au nom de son adhérente, puis s’en désiste sans l’avertir. Reprochant à la société Mr Bricolage de l'avoir privée de toute chance d’obtenir l'annulation de l’autorisation d’implantation du magasin Brico Leclerc, la société adhérente lui demande réparation de son préjudice. 

Une cour d’appel fait droit à sa demande, estimant que la société adhérente disposait d’une chance raisonnable d’obtenir l’annulation du projet Brico Leclerc par la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), cette chance pouvant être estimée à une sur deux en considération de ce que la décision qui aurait été rendue aurait résulté d’une appréciation factuelle par la CNAC.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision, jugeant que la perte certaine de chance était suffisamment caractérisée par les éléments suivants :

  • le recours dont la société Mr Bricolage s’était désisté faisait une analyse de la conformité de l’autorisation délivrée par la CDAC et contenait des arguments non dénués de pertinence au regard des critères légaux de l’aménagement du territoire et du développement durable, puisqu’il s’agissait de l’implantation d’un ensemble commercial important sur une friche industrielle et dans une zone déshéritée à la population déclinante mais pourtant déjà très largement pourvue en magasins de bricolage ; il n'était pas interdit sous cet angle de prendre en compte à titre d’élément d’appréciation des effets potentiels du projet la densité d’équipement commercial de la zone de chalandise, même si celle-ci ne figure plus au nombre des conditions définies par l’article L 752-6 du Code de commerce que la CNAC doit appliquer ;
  • une autorisation d’installation dans une commune voisine d’un magasin similaire qui avait été accordée par la CDAC à la même date que celle concernant le magasin Brico Leclerc avait, sur un recours, été annulée par la CNAC.

A noter : En matière de responsabilité contractuelle comme extracontractuelle, la perte de chance est un dommage réparable à chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable (Cass. 1e civ. 8-3-2012 n° 11-14.234). La perte d'une chance doit être caractérisée et réparée intégralement. Les juges du fond doivent donc mesurer la chance perdue, et ne pas allouer à la victime une indemnité forfaitaire ou simplement équitable (Cass. 1e civ. 22-10-1996 n° 94-19.828). 

Lorsque le dommage consiste en la perte d'une chance d'exercer une action ou un recours en justice, il incombe à la victime de prouver qu'elle avait des chances d'obtenir satisfaction (Cass. com. 13-11-2012 n° 11-21.148 ; Cass. 1e civ. 30-5-2013 n° 12-24.515), l'indemnisation ne pouvant être refusée que si l'absence de toute probabilité de succès de la voie de droit manquée est démontrée (Cass. 1e civ. 16-1-2013 n° 12-14.439).

A la question de savoir si le recours formé puis abandonné fautivement par la société Mr Bricolage devant la CNAC avait des chances d’aboutir à une annulation de l’autorisation d’implantation donnée par la commission départementale, les juges avaient répondu par l’affirmative. Mais – et c’était l’un des arguments du pourvoi - ils l’avaient fait par des motifs en partie tirés de critères relatifs à la densité d’équipement commercial de la zone de chalandise, qui n’étaient plus en vigueur. 

En effet, lorsqu'elles statuent sur les demandes d'autorisation d’un projet d’aménagement commercial, les commissions d'aménagement commercial doivent se prononcer sur les effets du projet en matière d'aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs et mettre en œuvre les critères d'évaluation énumérés à l'article L 752-6 du Code de commerce.  Or, depuis l'entrée en vigueur de la loi 2008-776 du 4 août 2008 (« LME »), la densité des équipements commerciaux de la zone de chalandise n'est plus au nombre des critères visés à l’article L 752-6 du Code de commerce. La Cour de cassation estime cependant que l’abandon par la loi de ce critère économique n’interdit pas d’en tenir compte, notamment pour mesurer les effets du projet en matière d’aménagement du territoire.