Information des salariés avant la cession de l’entreprise : des aménagements bienvenus
Loi 2015-990 du 6 août 2015 art. 204
Le champ d’application de l’obligation d’information sera plus étroit, l’information par lettre recommandée moins contraignante et le défaut d’information n’entraînera plus la nullité de la vente.
1. Depuis le 1er novembre 2014, la cession d’un fonds de commerce ou du contrôle d’une SARL ou d’une société par actions suppose l’information préalable des salariés afin de leur permettre de présenter le cas échéant une offre de reprise (C. com. art. L 23-10-1 s. et L 141-23 s. issus de la loi 2014-856 du 31-7-2014 et art. D 23-10-1 à D 23-10-3 issus du décret 2014-1254 du 28-10-2014). Ce dispositif a été très critiqué, tant par les entreprises que par les praticiens, en raison notamment de sa lourdeur (peu adaptée en pratique à la négociation d’une cession d’entreprise) et du risque d’annulation que son non-respect fait peser sur la cession.
2. La loi Macron retouche partiellement le champ d’application de cette obligation d’information, certaines de ses modalités et, surtout, revient sur sa sanction. Nous vous présentons ci-dessous les principaux aménagements.
Ces modifications entreront en vigueur à la publication d’un décret adaptant la partie réglementaire du Code de commerce et au plus tard, le 6 février 2016 (Loi 2015-990 du 6-8-2015 art. 204, III).
L’information sera limitée aux cas de vente
3. Actuellement l’obligation d’information concerne la « cession » d’un fonds de commerce ou d’une participation majoritaire dans une société. Dans le guide pratique mis en ligne sur son site en octobre 2014, le ministère de l'économie a estimé que ce terme recouvre toute opération juridique par laquelle une personne transmet la propriété d'un bien à une autre, ce qui inclut, par exemple, la vente, la donation, la dation en paiement, la transaction, la fiducie, l'échange ou l'apport en société. Selon ce guide, les donations et libéralités consenties au conjoint, à un ascendant ou un descendant du donataire ou du testateur sont exclues du dispositif (cf. art. L 23-10-6, L 23-10-12, L 141-27 et L 141-32 actuels) tandis que celles faites à une autre personne (entre frère et sœurs ou à un tiers) sont soumises à l’obligation d’information.
4. Ce n’est plus la « cession » qui sera visée mais la « vente » (substitution de terme dans tous les articles concernés). Selon les travaux parlementaires, échapperont ainsi à l’obligation d’information les cessions à titre gratuit, donc les donations (Rapp. Sén. n° 541 art. 55 bis A).
La précision selon laquelle l’obligation d’information ne s’applique pas en cas de succession et de liquidation du régime matrimonial est supprimée (art. L 23-10-6, L 23-10-12, L 141-27 et L 141-32 modifiés). Les transmissions intervenant dans ces hypothèses ne sont en effet pas assimilables à des ventes.
5. Cette modification terminologique ne résout pas la question de l’apport en société d’un fonds de commerce ou d’une participation. L’apport en nature n’est pas une vente, l’apporteur recevant des parts ou actions de la société bénéficiaire et non un prix en contrepartie de son apport. Néanmoins, mieux vaut à notre avis respecter l’information des salariés en cas d’apport. En effet, en vertu d’une règle jurisprudentielle ancienne, les règles de la vente sont applicables à l’apport dans la mesure où elles ne sont pas justifiées par l’existence d’un prix, ce qui est bien le cas des dispositions organisant l’information des salariés.
L’information écartée pour les salariés déjà avisés de la possibilité de reprendre l’entreprise
6. Il n’y aura pas lieu d’informer les salariés de la vente d’une participation majoritaire de la société « si, au cours des douze mois qui précèdent la vente, celle-ci a déjà fait l’objet d’une information en application de l’article 18 de la loi 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire » (art. L 23-10-6, L 23-10-12, L 141-27 et L 141-32 modifiés).
La loi précitée a prévu que, dans les sociétés commerciales (société en nom collectif, SARL, société anonyme, société par actions simplifiée, société en commandite et société européenne) de moins de 250 salariés, ces derniers devront être informés, au moins tous les trois ans, sur les conditions juridiques, les avantages et les difficultés de la reprise d'une société par ses salariés, ainsi que sur les aides dont ils peuvent bénéficier. Cette obligation n’est pas encore entrée en vigueur, faute de publication du décret d’application.
La Loi pour la croissance et l’activité anticipe afin d’éviter un cumul inutile des dispositifs d’information. En outre, elle complète celui prévu par l’article 18 de la loi de 2014 : l’information devra également porter sur les orientations générales de l’entreprise relatives à la détention de son capital, notamment sur le contexte et les conditions d’une cession de celle-ci et, le cas échéant, sur le contexte et les conditions d’un changement capitalistique substantiel.
Simplification de l’information par lettre recommandée AR
7. L’information des salariés doit être effectuée par tout moyen de nature à rendre certaine la date de sa réception par ces derniers (art.L 23-10-1, L 23-10-9, L 23-10-9 et L 141-30). Elle peut être faite par lettre recommandée AR ; la date de réception est celle qui est apposée par La Poste lors de la remise de la lettre à son destinataire (art. D 141-4 et D 23-10-2).
L’enjeu est important car la date de l’information des salariés constitue le point de départ du délai de deux mois à l’issue duquel la cession peut être réalisée dans les entreprises de moins de 50 salariés et aussi, dans toutes les entreprises concernées, celui du délai de deux ans dans lequel la cession doit être réalisée sous peine de recommencer la procédure d’information. Or, selon le guide du ministère de l’économie, si le salarié ne retire pas la lettre recommandée ou la refuse, il faut recourir à une autre méthode pour assurer la réception de l’information, telle la remise en main propre ou la notification par acte d’huissier.
La loi Macron met un terme à cet alourdissement de la procédure : la date de réception de l’information sera la date de la première présentation de la lettre (art. L 23-10-1, L 23-10-9, L 23-10-9 et L 141-30 modifiés).
Une sanction plus adaptée
8. Le principal reproche fait au dispositif était la sanction du manquement à l'obligation d'information, à savoir la possibilité ouverte à tout salarié de demander l’annulation de la cession.
A l’avenir, la sanction sera une amende civile plafonnée à 2 % du montant de la vente (art. L 141-23, al. 5, L 141-28, al. 4, L 23-10-1, al. 4 et L 23-10-7, al. 3 modifiés). Cette amende ne pourra être prononcée qu’à la demande du ministère public et seulement si le défaut d’information préalable a donné lieu à une action en responsabilité (art. précités).
9. Soulignons que le Conseil constitutionnel a abrogé, à compter du 19 juillet 2015, la faculté d’annuler la cession, cette abrogation s'appliquant à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (Cons. const. 17-7-2015 n° 2015-476 QPC : JO du 19-7 p. 12291).
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé qu'en imposant d'informer chaque salarié pour permettre aux salariés de présenter une offre d'achat, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général et il a écarté le grief tiré sur ce point de l'atteinte à la liberté d'entreprendre, estimant que l'obligation d'informer n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur. Il a néanmoins considéré qu'au regard de l'objet de l'obligation dont la méconnaissance est sanctionnée et des conséquences d'une nullité de la cession pour le cédant et l’acquéreur, l'action en nullité porte une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
Le nouveau régime de sanction s'appliquera-t-il aux litiges en cours au moment de son entrée en vigueur ? On peut espérer que le décret d'application répondra à cette question.