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Donation-cession de titres : la constitution d'un quasi-usufruit n'implique pas l'abus de droit

CAA Douai 23 octobre 2015 no 13DA02138.

La donation de la nue-propriété de titres suivie de leur cession avec remploi du prix dans la souscription de contrats de capitalisation sur lesquels les donateurs peuvent être regardés comme disposant d'un quasi-usufruit n'est pas fictive.

Le 17 novembre 2000, des parents font donation à leurs enfants de la nue-propriété de droits sociaux dont ils conservent l'usufruit. La donation est assortie d'une clause d'inaliénabilité et d'une clause de remploi : la première interdit aux donataires d'aliéner ou de nantir, sauf accord des donateurs et jusqu'au décès du conjoint survivant, les titres donnés en nue-propriété ; la deuxième prévoit qu'en cas de cession simultanée de l'usufruit et de la nue-propriété des titres, le démembrement de propriété sera reporté sur le prix de cession puis sur les biens acquis en remploi, les donateurs ayant toute liberté de choix du support du remploi.

Le 30 novembre 2000, les titres sont cédés en pleine propriété à un tiers. Les sommes issues de la vente sont remployées dans la souscription de contrats de capitalisation sur lesquels le démembrement est reporté.

Estimant les opérations constitutives d'un abus de droit, l'administration exige le paiement de l'impôt sur la plus-value de cession des titres comme si la donation n'avait pas eu lieu. L'argumentation développée par le fisc ne convainc ni le Comité de l'abus de droit qui émet un avis défavorable au redressement, ni les premiers juges qui prononcent la décharge de l'imposition en litige. Mais l'administration s'obstine !

Elle ne convainc toutefois pas plus la cour administrative d'appel qui juge :

- que la circonstance qu'une donation soit assortie d'une clause d'inaliénabilité la vie durant du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens du Code civil ;

- que la rapidité avec laquelle est intervenue la cession des titres donnés est sans incidence par elle-même sur le caractère de cette donation ;

- que si les donateurs peuvent être regardés comme des quasi-usufruitiers des sommes déposées sur les contrats de capitalisation souscrits en remploi du prix de cession des titres, ils ne peuvent être considérés comme s'étant réapproprié ce prix de cession, restant redevables, à l'égard des nus-propriétaires, d'une créance de restitution d'un montant équivalent ;

- qu'ainsi et alors même que la créance de restitution n'est pas assortie d'une sûreté, les donateurs se sont effectivement dessaisis des titres ayant fait l'objet de la donation.

La donation ayant entraîné un dépouillement immédiat et irrévocable des donateurs, elle ne peut pas être remise en cause par l'administration.

REMARQUE
Cet arrêt confirme que la constitution d'un quasi-usufruit dans une opération de donation avant cession n'est pas, en elle-même, de nature à caractériser un abus de droit. Tout dépend des circonstances dans lesquelles ce quasi-usufruit est constitué. 
 Il y a abus de droit lorsqu'un quasi-usufruit sur le prix de vente des titres est conclu postérieurement à la cession et au mépris de la clause de remploi obligatoire du produit de la cession dans d'autres titres eux-mêmes démembrés prévue dans l'acte de donation, ces opérations ayant permis au donateur de se réapproprier, sous couvert du quasi-usufruit, la totalité du prix de cession (CAA Lyon 7-11-2013 no 12LY02321 ; arrêt confirmé par CE 14-10-2015 no 374440). 
 En revanche, lorsqu'un quasi-usufruit sur une partie du prix de cession des titres - l'autre partie étant remployée dans l'acquisition d'autres titres eux-mêmes démembrés - est prévu dès l'origine dans l'acte de donation, il n'est pas de nature à emporter requalification des opérations (CAA Lyon 16-12-2014 no 13LY02119 ; un pourvoi ayant été formé contre cette décision, on espère qu'elle sera confirmée par le Conseil d'Etat). 
 Il résulte de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai qu'il n'y a pas non plus matière à contestation lorsque, la donation étant assortie d'une clause de remploi dans tous types de biens avec report du démembrement sur les biens concernés, le quasi-usufruit résulte de la nature des biens acquis en remploi (en l'espèce des contrats de capitalisation). 
 On notera pour terminer que, pas plus que les juges lyonnais dans l'arrêt précité du 16 décembre 2014, les magistrats de Douai ne tirent de conséquence du défaut de sûreté pour garantir la créance de restitution à la charge du quasi-usufruitier.