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Application d'une loi nouvelle d'ordre public aux contrats en cours

Cass. 3e civ. 9-2-2017 n° 16-10.350

La Cour de cassation applique une loi nouvelle modifiant la durée du bail des résidences de tourisme à un contrat en cours d’exécution au jour de son entrée en vigueur pour la seule raison qu’elle est d’ordre public. L’affirmation est surprenante.

L’article L 145-7-1 du Code de commerce, créé par une loi du 22 juillet 2009, interdit au locataire exploitant une résidence de tourisme de résilier le bail commercial en fin de période triennale (par dérogation à la règle autorisant le locataire de locaux commerciaux à mettre fin au bail tous les trois ans).

Ce texte, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur (le 25 juillet 2009).

A noter : La faculté pour le locataire de donner congé au bout de trois ans (C. com. art. L 145-4) était gênante pour la pérennité des résidences de tourisme dont la construction est souvent financée par des collectivités locales ou par des particuliers incités par des avantages fiscaux. La logique économique de ces montages postulait un engagement minimal du locataire, sous peine, pour les collectivités, d’assumer un investissement improductif et, pour les particuliers, de perdre le bénéfice fiscal de l’opération. L’introduction de l’article L 145-7-1 du Code de commerce par la loi du 22 juillet 2009 a pallié ces risques. Cette loi n’a toutefois pas prévu qu’elle s’appliquait aux contrats en cours, comme c’est généralement le cas quand une loi est d’ordre public et que la modification répond à une urgence économique et sociale.

Conformément au principe de non-rétroactivité de la loi posé par l'article 2 du Code civil, on aurait donc pu penser que le nouveau texte ne s'appliquait qu'aux baux conclus depuis son entrée en vigueur. Les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s'ils continuent à se réaliser après cette dernière, demeurent en effet régis par les dispositions sous l'empire desquelles ils ont été conclus (Cass. 1e civ. 4-5-1982 n° 81-11.539, Cass. 3e civ. 5-7-1995 n° 93-11.330 rendu pour l'application d'autres textes mais transposable). Le principe comporte  des exceptions. Notamment, une loi nouvelle s’applique aux contrats en cours si elle contient une disposition relevant d’un ordre public impérieux, sa nature d’ordre public ne pouvant à elle seule justifier son application rétroactive (notamment, Cass. com. 27-10-1969, déclarant que la survie de la loi ancienne joue dans la mesure où aucune raison ne commande d’y déroger ; Cass. 1e civ. 4-12-2001 précisant qu'à défaut de considérations d’ordre public particulièrement impératives, les contrats d’édition demeurent soumis à la loi en vigueur lors de leur conclusion ; Cass. soc. 22-2-2006 n° 05-13.480 , application aux contrats de travail en cours d’une loi destinée à améliorer la situation des salariés). 

La Cour de cassation s’est ici référée au caractère d’ordre public de la loi de 2009 pour justifier son application immédiate aux baux en cours, sans toutefois préciser que celui-ci était particulièrement impératif. On regrette cette formulation qui pourrait laisser croire que toute loi d’ordre public s’applique aux contrats en cours, même si l’on comprend bien que la loi de 2009 est manifestement destinée à sauvegarder la fiabilité et la cohérence économique du régime des résidences de tourisme.Il ne faudrait pas déduire de la décision que tout texte d'ordre public est applicable aux contrats en cours. Par exemple, la loi Pinel du 18 juin 2014 a écarté la possibilité pour les parties à un bail commercial de déroger à la faculté de résiliation triennale du locataire (C. com. art. L 145-4 modifié), toute clause contraire étant réputée non écrite (art. L 145-15). Doit-on considérer que ce texte, d'ordre public, s'applique aux baux qui étaient en cours le 20 juin 2014 (solution soutenue par la secrétaire d'Etat chargée du commerce ; Rép. Dubié : AN 31-5-2016 p. 4684 n° 93154) ? A notre avis, la réponse est négative. Ce texte vise à protéger le locataire et son application aux baux en cours constituerait une atteinte à l'équilibre contractuel dans la mesure où l'interdiction faite au locataire de résilier le bail avant six ou neuf ans a souvent pour contrepartie le financement de travaux par le bailleur, voire une réduction du loyer.