Un coup d'accordéon annulé pour fraude aux droits des minoritaires
Cass. com. 11-1-2017 n° 14-27.052
Décider de réduire à zéro puis d'augmenter le capital durant l’été alors que nombre d’associés sont indisponibles, que la survie de la société n’est pas en jeu et au seul bénéfice de l’associé majoritaire constitue une fraude aux droits des associés minoritaires.
Les associés d’une SAS exploitant une clinique sont convoqués le 4 août à une assemblée générale extraordinaire (AGE) qui se réunit le 25 août, au cours de laquelle est décidée une réduction du capital à zéro suivie d’une augmentation par création d'actions nouvelles (coup d'accordéon), la suppression du droit préférentiel de souscription des anciens associés et l’attribution des droits de souscription au profit de l’associé majoritaire, devenu l’associé unique de la SAS à l’issue de cette assemblée.
Il a été déduit des constatations suivantes que l’AGE et ses délibérations étaient intervenues en fraude du droit des associés minoritaires et elles ont été annulées :
- cinq mois avant l’AGE du mois d’août, ni le rapport du président ni l’assemblée générale ordinaire ayant approuvé les comptes de l'exercice écoulé ne mentionnaient que les capitaux propres étaient inférieurs à la moitié du capital social et aucune AGE n'a ensuite été convoquée pour statuer sur la dissolution par anticipation de la SAS ;
- la situation de la société dont la survie n’était pas en jeu malgré des difficultés financières, pas plus que la nécessité de réaliser de nouveaux investissements ne justifiaient le choix du mois d'août, période estivale où bien des personnes sont indisponibles, pour décider de la manière de recapitaliser la SAS et du maintien ou non des minoritaires dans la société ;
- l'augmentation de capital par création d’actions nouvelles réservées au seul associé majoritaire n'a créé aucune trésorerie permettant de faire face aux besoins de financement invoqués, puisqu’elle a été libérée en totalité par compensation avec une créance en compte courant de cet associé ;
- l’opération avait pour objectif affiché de reconstituer les capitaux propres à la moitié du capital social, mais son objectif essentiel était de permettre à l'associé majoritaire de prendre l'entier contrôle de la SAS et d'évincer les associés minoritaires sans que l'intérêt social le justifie.
A noter : 1° Un associé minoritaire peut, on le rappelle, obtenir l'annulation d'une décision collective en cas d'abus de majorité, qui suppose que la décision adoptée par le ou les associés majoritaires soit contraire à l'intérêt social et ait été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés. Le caractère autonome de l'action en annulation de la résolution d'une assemblée générale fondée sur la fraude, indépendamment de toute référence à la notion d'abus de majorité, a déjà été reconnu par la Cour de cassation (Cass. com. 16-4-2013 n° 09-10.583). Mais des similitudes existent quant au contenu des deux notions, et dans l’arrêt commenté les termes employés pour déterminer la fraude empruntent au vocabulaire utilisé par les tribunaux pour caractériser l’abus de majorité.
2° Il ressort de la jurisprudence que l’indisponibilité des associés à la date de l’assemblée est l'un des critères retenus pour caractériser la fraude aux droits des minoritaires. Ainsi le choix de la période estivale (août) par les associés majoritaires pour convoquer et tenir une assemblée ou pour fixer les opérations de souscription constitue-t-il un indice de fraude (Cass. com. 16-4-2013 n° 09-10.583, précité confirmant CA Paris 25-11-2008 n° 06-18340). Il en va de même pour la tenue d’une assemblée et le déroulement des opérations de souscription alors que l’associé fondateur de la société, détenteur de 23 % du capital, est en déplacement professionnel en Polynésie (CA Aix-en-Provence 13-12-2012 n° 11/16034).
De même, faire obstacle à la participation des actionnaires à l'assemblée devant décider d'une augmentation de capital est constitutif d’une fraude à leurs droits. Tel est le cas lorsque des actionnaires représentant 45 % du capital sont exclus par « ruse et artifice » : la convocation qu’ils ont reçue n'a pas respecté le délai légal et un refus d’admission à l’assemblée leur a été opposé (Cass. com. 6-7-1983 n° 82-12.910 : Bull. civ. IV n° 206).
En revanche, la fraude n’a pas été retenue dans un cas où un associé minoritaire soutenait que l’augmentation de capital avait eu pour seul objectif de diluer sa participation, avec une valorisation de la société bien en deçà de sa valeur réelle (300 000 € contre 6 à 7 millions d'euros selon son estimation), ce qui avait eu pour effet de créer un grand nombre d’actions nouvelles ; en réalité, les pertes cumulées de la société (près de 3 millions d'euros un mois après l’augmentation de capital) excluaient la valorisation invoquée par l'associé minoritaire (CA Paris 3-2-2011 n° 10-1051).